-
"Vivre l'enfer" Abus rituels en Allemagne (NDR - 2003)
En 2003, un reportage de Liz Wieskerstrauch intitulé "Vivre l'Enfer - Le Combat des Victimes: Abus Rituels en Allemagne" (Höllenleben - Der Kampf der Opfer: Ritueller Missbrauch in Deutschland) a été diffusé par la chaîne allemande NDR Fernsehen. Le documentaire donne la parole à plusieurs survivants d'abus rituels. Encore une fois les témoignages se recoupent et décrivent les horreurs qui sont là aussi systématiquement filmées par des caméras. La plupart des femmes qui témoignent dans ce documentaire souffrent d'un trouble dissociatif de l'identité.
➤ Château de Wewelsburg, abus rituels, sacrifices et héritage du 3ème Reich
TRANSCRIPTION (partielle):
- Voix off: Des messes noires dans des églises, des rituels dans des cimetières. Tortures et meurtres de nouveaux-nés... Ce sont les souvenirs d'Antje qui a passé son enfance dans un milieu sataniste. Elle a gardé le silence jusqu'à maintenant en raison des atrocités... Aujourd'hui elle veut parler et porter plainte contre les coupables. Dans son cas et dans beaucoup d'autres, des inconnus étaient cachés derrière des masques, mais ses propres parents participaient également aux rituels.
- Antje: Ma mère est toujours vivante, elle était la "puissante", la sataniste (ndlr: prêtresse ?). Mon père était le "messager", le conducteur, le livreur, le transporteur... Mon père est décédé en 1979 et la police n'a pas su s'il s'agissait d'un meurtre ou d'un suicide. Aucune autopsie n'a été réalisée et je soupçonne qu'il ait été assassiné par ma mère...
- Journaliste: Vous êtes vous confié à quelqu'un ?
- A: Non.
- J: Pourquoi cela ?
- A: J'avais peur de mourir... Sous la torture, on m'a plusieurs fois "programmé" que si je parlais de ce qu'il se passait... J'allais mourir.
- Nicki: On m'a fait m'allonger sur une table, puis on m'a piqué avec des aiguilles, parfois très profondément sous les ongles. Je ressentais cette intense douleur au point que je pensais que j'allais mourir... À ce moment-là, une nouvelle personnalité est créée pour prendre la relève face à cette douleur et terreur insurmontable...
- Journaliste: Quand est-ce que les abus ont commencé ?
- N: Nous ne nous rappelons pas exactement quand cela a commencé, ça a commencé très tôt.
- Voix off: Nicki utilise le terme "nous" parce qu'elle a une personnalité multiple, un diagnostic qui est encore controversé. Comme elle l'explique, pour pouvoir supporter ces atroces douleurs, elle s'est divisée en différentes personnalités. Ses souvenirs sont tellement fractionnés que faire un lien entre les atrocités et l'endroit où cela s'est passé est très difficile. Cela pose un problème pour apporter des preuves (...) Plus tard, Nicki a eu le courage de porter plainte. Depuis d'autres victimes ont aussi témoigné, certaines ouvertement, d'autres anonymement par peur des criminels (...) Antje aussi a porté plainte. Comme Nicki, elle a une personnalité multiple, ce qui complique les détails sur les lieux, les dates et l'identité des bourreaux... Cependant le procureur prend ces témoignages au sérieux. Pour que la suite de l'enquête ne soit pas compromise par les autorités, son avocate témoignera anonymement dans notre documentaire.
- L'avocate de Antje: Lorsqu'on a affaire à une personne souffrant d'un problème psychique tel qu'une personnalité multiple (ndlr: trouble dissociatif de l'identité), alors surviennent des questions : qu'est ce qui est fantaisiste, qu'est ce qui appartient à telle "identité" ou à telle personnalité ? Est-ce que tout
cela colle ensemble, est-ce cohérent ? Le problème est qu'au niveau juridique, ces personnes sont moins crédibles qu'une personne qui ne présente aucun trouble de la personnalité.
- Voix off: Dans ce reportage, il y a aussi des femmes qui témoignent de rituels sataniques mais qui n'ont pas de personnalité multiple. Elles aussi sont poussées par Nicki à porter plainte, mais beaucoup n'osent pas briser la loi du silence, ou bien alors elles restent dans l'anonymat. Elles disent également qu'elles ont été endoctrinées par leur famille pour perpétuer les rituels de génération en génération. De cette façon, chaque victime devient aussi complice... Pour Annegret, c'est une raison de plus pour ne pas aller voir la police.
- Annegret: Le problème... ce n'est pas aussi simple que ça... Premièrement, on sait à quel point il est difficile de trouver des chiffres, des données ou des preuves. Deuxièmement, nous avons un enfant, et si l'on commence à parler de ces choses là, nous avons peur que l'on nous en enlève la garde...
- Voix off: La signification des symboles occultes et la pratique du satanisme est un terrain inconnu pour les policiers et les procureurs.
- Ingolf Christiansen (spécialiste allemand sur la question de l'occultisme et du satanisme, donnant une conférence): Au début, dans les premiers degrés, je me soumets à la discipline "Arcanum", "Arcanum" est un nom latin signifiant "le secret". Cette discipline de l'Arcane ne tolère en aucun cas que l'organisation du groupe soit divulguée à une personne extérieure n'ayant pas été initiée. Le non respect de cette discipline a pour conséquence la punition martiale (ndlr: la mise à mort). Plus communément, ils disent: si tu parles à quelqu'un de n'importe quelle manière que ce soit, on te le fera payer... et les gens y croient.
- Voix off: Les jours de fêtes sataniques, les enseignements, les symboles... Les victimes ne les oublieront jamais, souvent sans les comprendre réellement. Pour eux, ce sont des signes d'atroces douleurs, comme pour Lucie, qui s'exprime ici avec une personnalité alter de petit enfant.
- Lucie (assise au sol en tailleur): Ils avaient toujours des signes bizarres, parfois dessinés sur notre corps... Ça se dessinait comme ça je crois... (faisant les gestes au sol avec son doigt)...
- Journaliste: Trois fois le chiffre six ?
- L: Je ne sais pas mais c'était dessiné en cercle...
- J: Trois fois le chiffre six entrelacé. Il y avait d'autres signes ?
- L: Oui, des étoiles... je n'aime pas les étoiles (dessinant un pentagramme avec son doigt). (...)
- J: Que signifie le rituel d'initiation ?
- L: Qu'ils nous... qu'ils nous... qu'ils nous apprennent, ils nous enseignent... ce qui est important pour vivre... Par exemple de se réjouir lorsque l'on fait du mal à quelqu'un... parce que c'est mieux ainsi, pour tous... Par exemple, ils nous branchaient sur du courant électrique... Ils nous enfermaient dans une cage... Ensuite ils lâchaient des chiens sur la cage... C'est fait pour nous rendre obéissants...
- Ingolf Christiansen: Dans un premier temps, il ne s'agit pas d'adorer Satan, le diable ou Lucifer, mais c'est un moyen de se sentir puissant. L'homme veut devenir Dieu, et à partir de là, selon la vision
des satanistes ou l'idéologie occulte, il s'agit de s'approvisionner en énergie et en puissance, et celle- ci est disponible en forte quantité par la consommation de sang. Parce que le sang est la vie et si ce sang est consommé, il approvisionne de cette énergie, de cette puissance. (...)
- Voix off: Annette a porté plainte à Hamburg, contre ses parents, mais aussi contre elle-même... car on l'a obligé à tuer. Elle n'a pas été diagnostiquée avec une personnalité multiple mais elle explique pourtant qu'elle menait une double vie. Une vie tranquille dans la maison d'un pasteur à Bielefeld parallèlement à une vie violente et destructrice dans une secte.
- Annette: Mes parents m'y ont emmené lorsque j'avais 4 ans. Mes premiers souvenirs remontent au moment où j'ai été amenée à tuer un chat au même âge... Petit à petit j'ai été plus active au sein de ce groupe, je devais regarder comment d'autres personnes violaient des enfants. Une fois j'ai vu mes parents et mon frère... Il avait 11 ou 12 ans, moi j'avais 2 ans de moins que lui... Je l'ai vu pendant qu'il était violé, et puis juste après... il était comme un corps sans vie, gémissant au sol en bougeant à peine... C'était juste un corps qui se trouvait près de moi... Je m'étais jurée à l'époque qu'ils n'arriveraient pas à me faire une chose pareille.
- Journaliste: Qu'est-il arrivé à votre frère ?
- A: Mon frère s'est suicidé il y a 3 ans. Il s'est tiré une balle...
- Voix off: Antje aussi cherche de son côté des pistes, des témoins, des preuves... Elle est sûre que derrière ces criminels masqués, il y avait aussi ses parents. Elle a un témoin, Sandra, sa soeur qui a 4 ans de moins qu'elle. Cela fait plus de 10 ans qu'elles ne se voient plus. Elles ont rompu le contact comme elles l'ont fait avec leur mère... le passé étant trop douloureux. Les deux soeurs ont été vendues à des pédophiles.
- Antje (montrant une photo d'elle enfant): Cette photo est typiquement destinée à circuler dans les réseaux pédophiles. Nous sommes là positionnées à quatre pattes, sur ma main droite, on voit clairement une bague en or, ce qui signifie que je suis disponible pour tout, serviable et obéissante. Que je ferais tout ce que l'on me demandera de faire.
- Voix off: Nous avons cherché la soeur d'Antje et nous l'avons retrouvé, mais elle restera anonyme. Sandra n'a pas une personnalité multiple comme sa soeur plus âgée. Elle se propose pour aider dans la recherche d'indices et de preuves mais aussi pour faire une déposition à la police. Les deux femmes ont donc témoigné séparément et sans s'être parlé auparavant, elles ont décrit en détails les mêmes rituels... Mais elles ne veulent toujours pas se revoir.
- Journaliste: Croyaient-ils en Satan ?
- Sandra: Pour la mère oui... Elle croit en cette puissance des ténèbres, elle pense que cela lui donne la puissance d'être quelqu'un qu'elle n'est pas... de ne plus être une victime... Avoir la sensation d'être puissante, oui, elle... oui !
- L'avocate de Antje: Des faits concrets se ressemblent et se complètent partiellement.
- Journaliste: Cela authentifie-t-il ce cas ?
- Avocate: Oui absolument ! Il est bien connu qu'une histoire de ce genre racontée par une seule personne parait invraisemblable. Quand elles sont racontées par un seul individu, ces histoires sont plutôt considérées comme fantaisistes, alors que si quelqu'un d'autre vient confirmer et ainsi valider le
témoignage, si possible indépendamment, là c'est différent.
- Voix off: Antje se rappelle particulièrement d'une nuit lorsqu'elle avait 9 ans. Cela devait être une nuit avec un rituel très spécial...
- Antje: Cette nuit-là, ça s'est passé dans une église, j'en suis tout à fait certaine. J'ai revu mon initiation, si on peut l'appeler ainsi... Je devais recevoir et canaliser certaines puissances sataniques. Nous sommes allés dans le cimetière, l'église était toute proche... un caveau a été ouvert... le cercueil également... À l'intérieur il y avait un homme mort il y a peu. Tout avait été nettoyé et je devais entrer dans cette tombe pour lui ôter son coeur... Le grand prêtre a pris cette coupe, et les autres membres de la loge l'ont suivi jusque dans l'église. Au pied des marches, il y avait le symbole de la loge, je ne sais pas si c'était dessiné ou juste posé là... Je devais m'allonger sur l'autel... On a dessiné des choses sur mon corps... Il y a eu des abus sexuels. À la fin de la soirée... j'avais un nouveau statut au sein de la loge et je devenais tout d'un coup une personne importante.
- Sandra: Ils l'ont préparé et conditionné pour qu'elle devienne une personne mauvaise. Ils avaient véritablement réussi à lui inculquer un sentiment de puissance et surtout de faire en sorte que cette puissance lui plaise...
- Antje: On m'a enseigné l'usage des pratiques rituelles... Par exemple le sacrifice d'un enfant, ou le privilège d'être à côté du grand prêtre lorsqu'une personne était allongée sur l'autel.
- Sandra: Antje avait vraiment développé ce sentiment de puissance, elle s'est alors rapprochée de plus en plus du culte où elle a monté les grades... Cela était pour elle une reconnaissance, car sinon elle n'était rien du tout... C'est comme cela qu'ils font les initiations, systématiquement...
- Voix off: Presque toutes les victimes témoignent que pendant ces rituels, des films et des photos "immortalisent" les scènes: de la pédo-pornographie... Il s'agit donc également d'argent et de réseaux criminels bien organisés. Sans preuves, Lucie ne peut pas porter plainte. Elle a une personnalité multiple... qui la croirait ? Aujourd'hui elle cherche des preuves en images sur internet (...) Des femmes de l'époque de la RDA ont aussi rapporté ce genre d'abus rituels, Lucie est l'une d'entre elles. Elle cherche les lieux de son enfance, elle fouille ses mémoires, elle trouve des preuves.
- Lucie: À l'époque je ne me rendais pas compte parce que je ne connaissais rien d'autre. Aujourd'hui je prends conscience que ma famille avait un niveau de vie très élevé. Nous avions des magnétoscopes, plusieurs voitures (...)
Il y a 3 pièces, ces pièces n'ont pas de fenêtres, elles étaient froides, nous pensons qu'il s'agissait de caves (ndlr: le "nous" correspondant aux différentes personnalités alter). Le sol était inégal, poussiéreux et sale. Les murs aussi étaient en mauvais état, il y avait des lampes sur ces murs. Il y avait une pièce où l'on attendait et une autre pièce où ça se passait... On se souvient aussi d'une autre pièce, plutôt une sorte de grand hall avec des sortes de poutres d'acier... Je ne sais pas exactement, nous savons juste que ce sont des poutrelles d'acier... et que ce hall n'était pas très propre...- Journaliste: Que s'est-il passé dans ce hall ?
- L: Ça fait partie de nos mémoires, il y avait un feu au milieu, il y avait des hommes, des hommes noirs, si l'on peut dire... Et on a alors vu quelqu'un qui était amené en direction du feu, il y avait de la peur...
- J: Savez-vous comment vous êtes arrivée là ?
- L: Nous sommes arrivés là par un transporteur... Là aussi il n'y avait pas de fenêtres. Oui nous sommes arrivés là par un transporteur. Il y avait parfois d'autres enfants, mais on ne se parlait jamais... Dans ces situations là, cela ne se fait pas...
- Voix off: Des pièces souterraines avec un grand hall... Les chercher, c'est comme chercher une aiguille dans une botte de foin. Les voisins, les instituteurs et les habitants du village ne peuvent pas être questionnés, les parents de Lucie se douteraient de quelque chose et le risque pour elle et ses soeurs est trop grand (...) Autre lieu possible de meurtres d'enfants: Le château de Wewelsburg. Mais pour la police et le procureur de Paderborn, les faits remontent à trop longtemps (...) Karine, qui a aussi une personnalité multiple a témoigné d'abus rituels pratiqués au sein même du château de Wewelsburg...
- Karine: J'ignorais qu'il existait un château avec ce nom là mais j'ai reconnu les ornements de cette salle... avec les colonnes... Il s'agit bien du château qui revenait souvent dans cauchemars d'enfants. J'ai souvent reproduit ces ornements dans des dessins quand j'étais petite. Dans la crypte, d'abord il y a cette croix gammée au plafond... Je me rappelle que dans cette crypte, il y a un foyer au milieu pour faire un feu. Il y a une sorte de pierre ou d'autel, et c'est sur cet autel qu'un enfant a été sacrifié. Cet enfant était le mien, il a été sacrifié à l'âge de 6 mois.
(...)