• ➤ Hypnose, Dissociation et Trauma : 30 ou 150 ans de psychotraumatologie ?

    Hypnose, Dissociation et Trauma : 30 ou 150 ans de psychotraumatologie ?Hypnose & Thérapies brèves, revue internationale de langue Française

    N° 26 (2012) - Gisela Perren-Klingler, Viège, Suisse
     

    1. Petite introduction historique

    Quand Pierre Janet publia en 1851 son premier livre sur la dissociation, il se référait avant tout aux cas de de « femmes hystériques » ; il fut le premier à lier les phénomènes dissociatifs à des vécus d'abus sexuel infantiles, ce que l’on appellerait aujourd’hui « trauma répétitif de type II ». Aujourd’hui, on considère ces vécus infantiles comme étant une cause possible de troubles dissociatifs complexes ; on parle de « trauma complexe », ou de désordre de personnalité limite (van der Haart, Nijenhuis, 2005 ), ou de troubles développementaux dus aux expériences traumatisantes durant l’enfance (De Bellis, 1999). Freud a commencé par suivre les hypothèses de son maître Janet, jusqu'au moment où le « trauma réel » se trouva converti en « trauma fantasmatique » dû au complexe d’Œdipe. On suppose que cette conversion vers le fantasmatique s'est opérée pour des raisons personnelles inconscientes. Cette individualisation freudienne du trauma a conduit à une représentation intrapsychique du trauma, qui a marqué la psychiatrie et la psychothérapie durant presque un siècle.

    La conception psychosociale du trauma n’a émergé que progressivement à partir des années de dictatures militaires en Amérique latine (1971 – 1984), qui a vu l'arrivée d'un grand nombre de réfugiés politiques torturés porteurs d'une étrange symptomatologie ; en même temps, les vétérans de la guerre du Vietnam aux Etats-Unis témoignaient d'une symptomatologie similaire. Les psychiatres de part et d’autre de l’Atlantique ont commencé à établir des liens entre les symptômes bizarres de ces survivants de la guerre et de la torture et leur récent vécu : c’est l'émergence de la psychotraumatologie moderne. Le diagnostic de « post- traumatic Stress disorder » (1980, DSM III), le « désordre de stress post-traumatique » est souvent appelé « névrose traumatique » en France, ce qui renvoie à la dimension personnelle du vécu. Le diagnostic de PTSD a permis des approches théoriques de plus en plus sophistiquées, basées sur la neuro-biologie cognitive ou sur l’entourage et les ressources sociales (« Conservation of Resources, COR », Hobfoll, 2007). Ces différentes approches théoriques et phénoménologiques des symptômes ont aussi permis de sortir de l’impuissance thérapeutique résultant aussi bien des approches psychodynamique, comportementaliste ou existentielle : ces approches permettaient certes une bonne interprétation de « l'ininterprétable » (Klein, 1974), sans toutefois en libérer le patient. Les théories neuro- cognitives ont mis en évidence les aspects prioritaires dans l'approche thérapeutique des symptômes, ainsi que l'action des différentes techniques dans les zones du cerveau, tandis que l'approche sociale et ressources aide à rétablir un meilleur équilibre des ressources.

    C’est donc une définition nouvelle du PTSD qui attribue les symptômes à des événements de violence hors de la norme survenus dans l’entourage de la personne (critère A1, DSM IV R), ainsi qu’a la réaction individuelle manifestée dans le vécu d'impuissance ou de la peur - mieux la pensée- de mourir (critère A2). Le trauma n'existe pas en tant que tel : c'est un événement qui le devient à partir de l'interprétation qu'en fait la personne touchée- après coup.
    Au début, les groupes essentiellement européens s'occupant des réfugiés et des survivants de l’Holocauste et des camps de concentration ont eu de la difficulté faire la différence entre l'extérieur et l'intérieur, la société et la victime ; il y avait confusion entre prévention (lutte pour les droits humains) et thérapie, l'avant et l'après. Depuis lors, nous savons tous que l’un n'empêche pas l’autre, et que la prévention et l’activisme politique en faveur des droits de la personne renforcent l'aspect thérapeutique si l'on sait en tirer profit. Aussi, les thérapeutes qui s'occupent des conséquences de traumatismes complexes de l’enfance se rendent compte que si l’on prenait au sérieux la question des droits de l’enfant, il y aurait moins d’adultes souffrant de ces symptomatologies graves et compliquées à traiter. Nous retrouvons alors ce que Pierre Janet avait enseigné : la symptomatologie du PTSD et du trauma complexe est personnelle, individuelle, mais elle est primordialement due à des causes extérieures ; elle affecte la personne dans toutes ses dimensions, tant biologique que mentale et sociale.

    Dans le diagnostic des affections du trauma, il faut relever ce qui en principe dérange le plus le patient : les souvenirs récurrents intrusifs (critère B) et éventuellement aussi l’hyperexcitation (critère D) ; cela signifie qu’on peut se concentrer sur les effets du stress vécu au niveau du système nerveux autonome sympathique. On peut tout à fait aussi considérer l'autre face de la médaille, la dissociation (critère C), ou rester dans l’approche biologique sur les mécanismes compliqués de l'autoprotection de l'individu touché. Durant l’exposition potentiellement traumatique, ce n’est pas seulement le système sympathique du stress (fuite /combat) qui est sollicité, mais aussi le système parasympathique(impressiondegel,sefiger,neriensentir), qui contribue au mécanisme de dissociation. D'autres mécanismes biologiques renforcent la dissociation initiale parasympathique. Souvent, les personnes touchées ne consultent que tardivement, car la dissociation leur permet de ne pas souffrir des conséquences post-traumatiques ; tout au plus, ce sont les phobies post-traumatiques qui les dérangent dans les activités quotidiennes : par exemple le chauffeur de camion qui redoute de monter dans son camion, quand bien même le côté somatique ait été bien traité par la chirurgie : incapable de reprendre le travail, ce chauffeur est alors catalogué comme « névrotique » et se retrouve bénéficiaire d'une rente Mais si la dissociation émotionnelle ne gêne que rarement les victimes elles- mêmes, elle est par contre difficile à vivre pour l'entourage.

    Dans les pages suivantes, j’aimerais présenter quelques vignettes cliniques de thérapie post-traumatique abordée sous l'angle de la dissociation.

     

    2. Exemples

     2.1 Cas I

    Anamnèse, symptomatologie et intervention

    Originaire du Maghreb, cet homme dans la quarantaine en Suisse vingt ans auparavant me consulte pour des « cram- pes de l’oesophage et envie de vomir », phénomène qui se manifeste depuis son arrivée en Suisse, surtout en pré- sence de gens en face de qui il aimerait faire bonne figure. Dans ces moments de crampes, il s'efforçait alors de ne pas laisser monter l’air de son estomac, il avalait et avalait jusqu'à avoir les larmes aux yeux.

    De l'anamnèse ressortit qu’il avait été torturé dans son pays d'origine comme militant en faveur de la démocratie. Sa demande d’asile en Suisse avait été acceptée, il avait trouvé du travail et épousé une Suissesse par ailleurs fille de policier. Le motif de la consultation était l'augmentation de la fréquence de ces crampes et de la gêne occasionnée. De fait, alors qu'il était en train de m'expliquer sa situation, il fut pris d'une série de crampes contre lesquelles il luttait jusqu'aux larmes.

    Plutôt que d’entrer dans l'histoire précise de sa torture, de sa migration forcée et de la nostalgie de son pays ou d'interpréter ses larmes, je pensai que le rétropéristaltisme et les larmes qui l’accompagnaient pouvaient être compris comme un signe d’hyperexcitation parasympathique, donc de phénomène dissociatif ; je suspectai derrière cela une hyperexcitation mal gérable et peut-être des souvenirs traumatiques, et je commençai par un exercice de respiration pour calmer le patient et l’associer. Avec une induction hypnotique, je le guidai avec un pacing and leading attentif (synchronisation et guidance) , jusqu'à un état de calme qui s'étendait aussi à son estomac : après une vingtaine de minutes - et à son grand étonnement - le patient put se dire soulagé et libéré. Je lui expliquai les conséquences possibles de la torture, de l'émigration forcée et des difficultés d'intégration dans un pays aussi différent du sien. Je lui enseignai comment pratiquer cet exercice de respiration, et lui prescris de le faire deux fois par jour pendant au moins 15 minutes. Je lui suggérai également de s'autoriser une fois par jour, après l'exercice, à faire un « petit voyage » dans son pays, dans un lieu qu’il aimait, et de s’y asseoir un moment pour voir, entendre, sentir, goûter et éprouver dans son corps tout ce que lui avait procuré ce pays qui lui manquait ici. J’expliquai qu'il n'y avait pas de médicament contre la nostalgie, et que c'était l'unique chose qu'il pouvait faire pour lui-même.

    Il revint quatre semaines plus tard, content et racontant qu'il savait maintenant contenir ses crampes ; il avait également pris la décision de divorcer et n’avait pas besoin de mon appui pour cela.

     Réflexions

    Je me suis retenue de chercher dans le passé traumatique les causes potentielles de ses crampes ou d'interpréter les « émotions » (larmes); mais je considérai que - pour une raison inconnue - cette symptomatologie dissociative de longtemps était subitement devenue gênante : peut- être le divorce imminent ? Je me dis qu'en premier lieu, j'allais lui montrer comment calmer son système nerveux autonome (non volontaire) et lui expliquer ses difficultés et ses ressources face à la nostalgie (psychoéducation). J'avais pensé que dans une deuxième séance, il aurait besoin de me parler de ses expériences traumatiques et m'étais préparée à faire un débriefing psychologique thérapeutique ; mais une fois les « crampes » maîtrisées et le lien rétabli avec les ressources de son origine, il sut se passer de moi.

      2.2. Cas II

    Anamnèse, symptomatologie et intervention

    Cette femme, B, de 35 ans, psychologue uruguayenne, suivit avec moi à Montevideo un cours sur le débriefing psychologique. Elle se différenciait du reste du groupe par une attention souvent variable et un regard fuyant ou dissociatif. De plus, elle avait évoqué à plusieurs reprises différentes phobies : oiseaux, plumes, places spécifiques.
    Au moment où je proposai, comme promis au commencement du cours, une démonstration de la technique en entier, B se leva et vint se présenter. Une fois assise, je lui demandai de quoi il s'agissait ; immédiatement son regard se fit dissociatif et d'une voix atone, dit :

    «accouchement d’un enfant mort sept ans auparavant ». Je savais qu’entretemps, elle avait accouché de deux filles en bonne santé, âgées alors de 5 et 3 ans.

    Je n'entrerai pas ici dans la technique précise du débriefing comme je l'enseigne et la pratique, mais je résumerai le processus.

    Dans les faits il s'avéra que B avait porté une grossesse désirée presque jusqu'à terme ; le vendredi soir, au travail, la dernière chose dont elle se souvenait était d'avoir mangé un morceau de chocolat et senti bouger le bébé. Le lendemain l'enfant ne bougeait plus ; B accoucha alors d'un enfant mort-né, que B ne voulut pas voir et qui fut transporté au service de médecine légale, qui se trouvait dans la capitale. Après l'autopsie, le corps fut éliminé sans service funèbre ni enterrement. B n’avait plus reparlé de cet épisode avec personne, pourtant elle avait été accompagnée par ses parents et son mari pendant tout le processus. Quand je lui demandai le sexe de l’enfant, B finit par me répondre que c'était une fille. Mais elle refusa de répondre quand je lui demandai le prénom : pourtant j'insistai, afin qu'elle puisse prononcer pour la première fois ce prénom : Sonia. Durant toute la démarche, j'avais dû insister pour qu'elle me regarde et l'empêcher ainsi de fuir dans la dissociation.

    Dans la phase émotionnelle (élaboration du ressenti à travers le corps, identification de la valeur lésée), B évoqua sa haine à l'égard des médecins, quoiqu'elle soit consciente que ce n'était pas de leur faute. Tandis qu'elle continuait à parler de ce qui s'était passé et de ce qu'elle avait éprouvé, il m'apparut qu'il y manquait la tristesse, que j'évoquai aussitôt ; son regard auparavant fuyant, se posa sur moi, et très tranquille elle commença à parler de l'enfant et de la solitude vécue lors de l'accouchement. L'émotion élaborée fut nommée « solitude triste » et la valeur fut l’appartenance.

    Planter un jasmin rose dans son jardin (je me souvins des violettes de Erickson....) fut le rituel convenu, ainsi que la discussion avec son mari et ses parents ; je supposai que cela conduirait également à la discussion avec ses deux filles.

    Après le processus, je découvris en B une femme au regard tranquille posé sur moi, associé. Pour pouvoir moi -même répondre aux questions des observateurs sans la gêner, je l’invitai à aller se promener un moment en compagnie d'une autre participante. Elles revinrent toutes contentes : l’accompagnante me raconta qu'en sortant, B exprima son envie de chocolat ; les quelques pesos qu’elles avaient sur elles suffisaient pour acheter une petite tablette et la partager. B réalisa qu'elle n'avait plus remangé de chocolat depuis le fameux vendredi soir où elle avait encore senti bouger l’enfant.

    Une année plus tard, B vint me voir lors d'un congrès à Buenos Aires pour me remercier ; elle avait planté le jasmin, perdu toutes ses phobies et parlé avec son mari de leur première fille. Elle en avait aussi parlé à ses deux filles ; sa joie avait été à son comble quand elle avait entendu peu auparavant, sa fille aînée répondre à quelqu'un qu' « elles étaient deux filles à la maison, mais qu'au fond elles étaient trois, car elles avaient une soeur, Sonia, qui était morte juste avant la naissance. »

    Réflexions

    La dissociation nécessaire pour survivre à la torture de l'accouchement d'un enfant mort, n'a pas pu être transformée en une nouvelle association ; c’est donc une dissociation traumatique. Elle s'est manifestée par de multiples phobies, dont celle, inconsciente, du chocolat. La dissociation « sauvage » qui s'imposait n'importe quand rendit la vie très difficile pour cette femme ; elle vivait dans une transe dissociative permanente. Le fait de construire la narration de l'événement traumatique, l'élaboration des émotions dissociées, la recherche de l'émotion la plus normale pour un enfant perdu, la tristesse et la possibilité de prendre congé et de faire le deuil de l'enfant, ajouté à la réalisation de l'acte rituel convenu ont rendu superflue la dissociation protectrice. Le débriefing a permis de sortir de la transe traumatique négative et de retrouver une vie émotionnelle sereine tant au niveau professionnel que familial.

    2.3. Cas III

    Cette femme, C, 42 ans, consulta pour « retrouver » les premiers souvenirs de l'abus sexuel commis par son père. Elle savait que cela s'était passé quand elle avait à peu près cinq ans. A partir de 12 ans, elle avait pu trouver comment se protéger de son père. C souffrait d’une fibromyalgie grave qui lui rendait impossible de ses uniques plaisirs dans la vie, la randonnée en montagne. Contre les douleurs, son médecin généraliste lui faisait des injections d'anesthésiques locaux dans les plantes de pied ...

    C avait fait des études de pédagogie, de psychologie et de droit. Dans son travail, elle s'occupait de victimes. Elle avait passé par plusieurs psychothérapies, mais en même temps sa vie se rétrécissait de plus en plus : pas de relation proche ni de couple, juste un lien avec deux familles amies, où elle était marraine de deux filles, avec lesquelles elle passait du temps à jouer et où elle se sentait le mieux. Mon diagnostique fut : trouble dissociatif dans une personnalité borderline (trouble développemental), avec affections psychosomatiques.

    Comme C me semblait très agitée - et son pouls le confirma- je voulais commencer à la tranquilliser et à lui redonner un certain contrôle par un exercice de respiration. Mais il s'avéra impossible de la guider dans une respiration qui la calmait : au contraire, son pouls s'accélérait, mais sans qu'elle hyperventile ; je la sortis de cette transe d’impuissance et lui demandai quelle chose pouvait la tranquilliser. Elle me demanda la permission de sortir de son sac un petit calepin et un crayon ; elle commença à dessiner les montagnes qu'elle pouvait apercevoir à travers la fenêtre, et le pouls se normalisa ; pendant qu'elle continuait à dessiner, je la guidai dans la respiration jusqu'à accéder à une respiration et un pouls encore plus tranquilles. Je lui expliquai qu’elle pouvait, avec ou sans dessiner, commencer à se calmer quand elle le voulait. Je lui donnai la tâche de faire cet exercice deux fois par jour pendant au moins 15 minutes. Elle me répondit qu'elle aimerait pouvoir se sentir en sécurité dans son appartement, surtout qu'il y aurait prochainement des travaux dans la maison, avec tout ce que cela signifie de va-et-vient et de bruit. En cherchant des ressources de sécurité, ce qui me frappa fut mon impossibilité à mobiliser des ressources même simples : ni un lieu, ni une situation, ni un plaisir à travers un des sens : ce qu'elle avait connu, la balade en montagne, n’existait plus. Finalement je pus trouver une situation avec une de ses filleules, où elle lui apprenait à faire des dessins. J’utilisai cette expérience pour une induction classique hypnotique, passant par tous les sens et leurs sousmodalités, surtout le visuel, l’auditif et le corps (respiration tranquille) ; je posai une ancre à la hauteur de la physiologie associative. Je lui expliquai longuement aussi les séquelles sensorielles de la dissociation ( psychoéducation). En fin de session, C me demanda comment réapprendre à sentir avec son nez ; je lui proposai d'aller dans un magasin de parfums, et de se donner ce stimulus fort du parfum sur sa peau . Pour les aliments, dont elle ne sentait pas vraiment le goût, je lui proposai de chercher ce qui lui ferait envie.

    Elle revint trois semaines plus tard, pâle et disant qu'elle n'avait aucune envie de venir : le truc du parfum était idiot, et elle ne pouvait savourer que des pommes de terre cuites avec un peu de sel. Elle sentait des nausées qui l’avaient presque fait renoncer à venir. La nausée, symptôme associé à un organe sensoriel, me donna l'idée de le travailler avec la technique de l'EMDR ; y aurait-il quelque chose de traumatique derrière cela ?

    Durant l’exercice, assez rapidement d’ailleurs, C commença à voir des images très précises du premier abus par son père, dans un hôtel, où elle revoyait les couleurs des draps et des tapisseries. Elle me raconta tranquillement, comme une spectatrice, ce qu'elle voyait et je l'aidai à le faire en la faisant parler à la troisième personne : « ce qui est en train d'arriver à la petite C ». Je compris assez vite qu’il s’agissait d'un viol oral (nausée), ce que C réalisa en le racontant. Le contenu du souvenir retrouvé la satisfaisait et, comme il n’y avait pas d'émotion traumatique, il fallait juste que « C adulte » puisse maintenant consoler « la petite C » en lui expliquant que ce que papa venait de faire était mauvais, qu’elle avait raison d'être inconsolable et de ne pas vouloir manger au souper. Il y avait aussi le sommelier qui lui avait proposé une glace à la mandarine es avec des violettes en sucre. C parvint à réconforter et consoler « la petite C».Vers la fin de la séance, C me dit que tout à coup elle avait perçu mon parfum. La nausée avait cédé, des images étaient retrouvées et la dissociation olfactive disparue. C partit contente, la demande qui avait motivé la consultation était satisfaite.

    Dans la prochaine séance, on travailla la sécurité ; elle avait appris à respirer pour se calmer, avait trouvé un lieu de sécurité dans son appartement où elle ne se laissait pas déranger, même par le va-et-vient des ouvriers; elle était également capable de supporter les odeurs (réassociation !) des cuisines et toilettes des autres appartements, car les étages étaient traversés par un trou de plancher et du plafond. Cette sécurité fut presque plus importante pour elle que les souvenirs retrouvés.

    Réflexions

    La dissociation, si elle est une ressource essentielle dans les traumatismes de type II, devient à long terme la source de troubles émotionnels, développementaux, affectifs et psychosomatiques, qui avaient marqué la vie de C. La dissociation lui avait permis de suivre l'école sans problème, d’obtenir sa maturité et de suivre des études ; mais cella coûta à C l'incapacité d'une relation émotionnelle avec un homme (ou une femme), de jouissance et plaisir sensoriels. Heureusement, C disposait de beaucoup de ressources intellectuelles, de compréhension et d'une détermination courageuse. Une fois le souvenir retrouvé, la dissociation olfactive n'avait plus lieu d'être. C put non seulement sentir mon parfum, mais aussi toutes les odeurs intimes d'un bâtiment en rénovation.
    L'élaboration d'un lieu de sécurité aussi difficile, qu'elle ait été dans ce cas, a finalement mené à une capacité de retrouver l'odorat et en même temps les souvenirs qu'elle avait cherchés, et ce par le recours à l’EMDR. L'efficacité du lieu de sécurité a été démontrée dans le test - et la réalité - des travaux de rénovation.

     

    3. Discussion et conclusions

    Le trauma a toujours deux aspects : il y a d’une part un aspect social : la société n'est pas capable de protéger les individus d'agressions, d'où qu'elles viennent : étatiques dans la torture, criminelles dans l'abus sexuel ou une agression délinquante, structurelles dans un accident de travail ou en médecine. La communauté ne sait/peut/ veut pas protéger ses membres et il se crée ainsi pour la personne concernée un déséquilibre de ressources, le stress ; ce stress provoque une réaction de survie – biologique – qui sauve la vie, mais qui peut coûter cher d’abord par les troubles des réactions de stress post-traumatique et plus tard dans le PTSD.

    On peut considérer les réactions, ainsi que les pathologies post-traumatiques, ou bien sous l’angle du stress, ce qui conduit au concept du PTSD ; ou bien on peut les considérer sous l'angle de la dissociation ; ce sont deux faces de la même médaille, l'exposition à un événement unique ou répétitif qui implique de la violence et une atteinte à l'intégrité bio-psycho-sociale de la personne, dans lequel la dissociation protège d'un surmenage par le stress :

    La dissociation est garantie par plusieurs canaux biologiques :

    • L'hyperactivation du système autonome parasympathique

    • L’activation d’endorphines de stress

    • La désactivation des hormones de stress passe en partie par un métabolite qui a des effets similaires à l'endorphine

    • La désactivation sur le plan cortical des liens entre les différents centres sensoriels, ce qui provoque une dissociation similaire à celle que nous utilisons dans la transe hypnotique

    • La désactivation dans le mésencéphale des liens entre le thalamus sensoriel, l'amygdale et l'hippocampe

    Une capacité physiologique garantie par tant de voies différentes doit être une capacité essentielle à la survie de la personne. Il est certain que la dissociation préserve d'une hyperstimulation somatique et émotionnelle qui brûlerait et tuerait la personne affectée : « mourir d’effroi ». Que cela soit dans la torture, dans l’accouchement d’un enfant mort ou dans l’abus sexuel dans l’enfance par son propre père, ces vécus présentés de manière succinte n'ont pas tué grâce à la dissociation. Comme le cerveau est un organe conservateur et une machine à apprendre, l’ »appris », l'expérience, est stocké en mémoire même lorsqu’il n’est plus nécessaire. D'autres expériences comme le mariage et la sécurité en Suisse, l'accouchement de deux filles saines, la libération du père, le triple apprentissage et un travail réparateur, ne suffisent qu’en partie pour défaire cette dissociation. Elle s'exacerbe suite au regain de stress engendré par une crise conjugale ou de la nostalgie, elle se montre tous les jours dans les phobies post-traumatiques ou dans une dissociation de l’odorat, par la fibromyalgie ou une insécurité même dans son propre appartement. Tous ces patients se trouvent en filigrane des cas décrits dans l'histoire de la psychiatrie, comme Anna O de Freud, Henriette de Esquirol, un élève de Pinel, mais aussi de Hitler, qui souffrait d'une « cécité hystérique traumatique» traitée, efficacement, hélas, par l'hypnose, ou Benazir Bhoutto après l'assassinat de son père.

    Il est vrai, que dans les trois cas présentés ici, j'ai dû renoncer à la fureur thérapeutique de tout régler. Une grande part du travail a été faite par les patients eux- mêmes, ils ont retrouvé le contrôle, la compréhension et le sens des faits, (cohérence de soi, concept de la salutogenèse, Antonovsky) qu’ils avaient perdu suite à leur expérience traumatique. Parfois on reçoit un cadeau, dans un feed back comme pour B ; pour le reste il faut vivre ce sentiment d'imperfection et le nuage du non savoir.

    Le concept de la dissociation nous ramène à l'histoire d'il y a plus d'un siècle et initiée par Pierre Janet : ce sont donc bien 150 ans de psychotraumatologie.

    L’hypnose thérapeutique Ericksonienne nous a permis de conceptualiser plusieurs aspects utiles dans le trauma : elle nous a permis de voir la dimension de transe dans le trauma : le choc traumatique est le meilleur inducteur hypnotique qui existe. Elle nous a aussi ouvert la possibilité de nous servir de la dissociation à des fins thérapeutiques : par exemple par la dissociation thérapeutique multiple pour désamorcer les flashbacks, ou l'activation associative de ressources pour retrouver l'équilibre perdu par le trauma au niveau psychosocial.

    On pourrait alors considérer que la psychotraumatologie et son traitement actuel efficace, inspiré des apports de l’hypnose surtout Ericksonienne, n'a qu'une cinquantaine d'années.

    Pour conclure, je dirais que les dates ont ici une importance relative ; ce qui importe, c'est que les phénomènes de dissociation, à la base des pathologies consécutives à un trauma, amènent tous les psychothérapeutes à recourir à des techniques hypnotiques, conditions d'un traitement efficace et effectif des séquelles post-traumatiques.