• ➤ Parler au nom de nos Soi(s) - Une évaluation du trouble de personnalité multiple

    ➤ Parler au nom de nos Soi(s) - Une évaluation du trouble de personnalité multipleNICHOLAS HUMPHREY ET DANIEL C. DENNETT

    Humphrey N. & D. C. Dennett, 2009, « Parler au nom de nos Sois(s). Une évaluation du trouble de personnalité multiple », Terrain, n° 52, pp. 18-37. https://journals.openedition.org/terrain/13545

    Traduit de l’anglais par Christine Langlois

    Au début des années 1960, lorsque la loi anglaise n’autorisait la nudité sur scène qu’а condition que le comédien reste immobile, une baraque de la Midsummer Fair de Cambridge présentait une attraction intéressante. L’affiche proclamait : « La seule, l’unique Lady Caméléon devient certaines des grandes femmes de l’Histoire ». L’intérieur de la baraque était obscur. « Florence Nightingale ! » braillait le présentateur, et la lumière s’allumait brusquement sur une femme nue, d’une immobilité de statue, une lampe а la main. Les spectateurs applaudissaient. Les lumières s’éteignaient, on entendait quelques glissements sur scène. « Jeanne d’Arc ! », et elle surgissait, éclairée sous un angle différent, s’appuyant sur une épée. « La bonne reine Bess ! », et maintenant elle portait une perruque rousse et tenait un globe et un sceptre... « Mais c’est la même personne », remarqua tout haut un écolier du genre je-sais-tout.

    Imaginez maintenant, quelque trente ans après, un show publicitaire pour un ordinateur ibm. Une affiche sur une baraque de foire annonce : « Le seul, l’unique PC IBM devient les plus grands processeurs d’information de l’Histoire ». La baraque est obscure. « WordStar », hurle le présentateur, et la lumière s’allume sur un ordinateur de bureau affichant un menu de commandes classique. Les lumières s’éteignent. On entend le bruit caractéristique du changement de disque. « Paintbrush ! », et l’ordinateur présente un autre menu. « Maintenant, ce que vous attendiez tous, Lotus 123 ! » « Mais c’est seulement un programme différent », remarque l’écolier. Quelque part entre ces deux scénarios se trouve le phénomène de personnalité multiple chez les êtres humains. Et, quelque part entre ces exemples trop faciles, on nous trouve, nous. L’un (Nicholas Humphrey) est un psychologue théoricien. L’autre (Daniel Dennett) est un philosophe. Mais, tous deux, nous nous intéressons depuis longtemps à la nature de la personne et du moi. Nous avons eu l’opportunité l’an passé de rencontrer plusieurs « multiples », de parler avec leurs thérapeutes et de nous faire une idée du goût du monde qui est le leur. Nous livrons ici un point de vue d’observateurs extérieurs.

    Nous avions assisté pendant deux journées entières à la conférence sur le trouble de personnalité multiple (TPM) avant que quelqu’un émette l’inévitable plaisanterie : « Le problème avec ceux qui ne croient pas au TPM, c’est qu’ils sont atteints de trouble de personnalité unique. » Dans le monde à l’envers dans lequel nous venions de pénétrer, quasiment personne n’a ri. Il s’agissait de la cinquième conférence internationale sur les états de personnalité multiple ou états dissociatifs, qui se tenait à Chicago en octobre 1988. Y assistaient plus de cinq cents psychothérapeutes et un grand nombre (bien que difficile à chiffrer) d’anciens patients.

    Le mouvement, ou la « cause » (comme elle était appelée), du TPM s’est développé de manière exponentielle. Deux cents cas de personnalité multiple avaient été recensés jusqu’en 1980, on en connaissait mille en traitement en 1984, quatre mille à l’époque de cette conférence. Le nombre de femmes dépassait largement celui des hommes, dans une proportion d’au moins quatre pour un. Et il y a des raisons de croire que la majeure partie de ces individus – peut-être 95 % – ont été agressés physiquement ou sexuellement pendant l’enfance. Nous avons entendu dire qu’il y aurait plus de vingt-cinq mille cas en Amérique du Nord (Putnam et al. 1986). La consécration par un « diagnostic officiel » fut accordée au TPM en 1980, avec une entrée dans le manuel de médecine clinique dit « DSM-III » :

    Personnalité multiple :

    1.) L’existence au sein d’un individu
    de deux, ou plus, personnalités distinctes, dont chacune est dominante à un moment donné.

    2.) La personnalité qui est dominante à un moment donné détermine la conduite de l’individu.

    3.) Chaque personnalité de l’individu est complexe et possède ses caractéristiques propres de conduite et de modes de relations sociales (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders III 1980).

    On dit qu’il existe une personnalité « hôte » et plusieurs personnalités alternatives ou « alters ». Généralement – on constate cependant des exceptions –, ces personnalités se désignent elles-mêmes par des noms différents. Elles peuvent aussi parler avec des accents différents, choisir de porter des vêtements différents, de fréquenter des lieux différents. Sur le plan émotionnel, aucune des personnalités n’est équilibrée. L’hôte est généralement sans relief, tandis que ses différents alters manifestent des humeurs excessives : la colère, la chaleur humaine, la puérilité, l’hypersexualité. Du fait de l’éventail de leurs compétences affectives, il échoit à chacun des alters de gérer une situation sociale particulière. L’un se manifeste lorsqu’il s’agit d’avoir une relation sexuelle, un autre joue avec les enfants, un troisième cherche la bagarre, etc. La plupart du temps, la personnalité hôte est en scène, mais les alters l’interrompent et la remplacent lorsque, pour une raison quelconque, celle-ci n’arrive pas à faire face. L’hôte est généralement atteint d’amnésie concernant ces épisodes pendant lesquels un alter intervient ; il est donc sujet à des trous de mémoire ou à des blancs. Bien que les connaissances générales soient partagées entre les alters, les mémoires spécifiques ne le sont pas. La mémoire de chaque alter est fondée sur les épisodes dont il, ou elle, a été en charge. Avec le temps, et le nombre d’épisodes, toutes ces expériences sont amalgamées et aident l’alter à se forger un point de vue discordant sur sa personnalité – et, par conséquent, à une idée de soi distincte.

    Le nombre d’alters varie grandement selon les patients : d’un seul (personnalité double) à plusieurs douzaines. Dans les premiers rapports, la plupart des patients étaient décrits comme possédant deux ou trois alters, mais ce nombre n’a cessé d’augmenter : une étude récente en a proposé une moyenne de onze. Quand la famille s’est agrandie à ce point, un ou deux alters se réclament généralement du sexe opposé à celui de l’hôte.

    Telle est du moins la manière dont nous a tout d’abord été exposée la multiplicité. Mais il a fallu que nous soyons confrontés à des histoires de cas pour commencer à être sensibilisés à la texture humaine du syndrome et à l’analyse qui en était faite par des professionnels. Chaque cas est, bien sûr, unique. Il est clair cependant que des thèmes communs sont en train d’émerger et qu’ensemble, sur la base de leurs expériences, les thérapeutes commencent à penser en terme d’« histoire de cas typique »1. L’exemple qui suit, bien qu’en partie reconstruit, est fidèle au genre (et à la vie).

    Mary, vers trente ans, souffrait de dépression, d’états confusionnels et de trous de mémoire. Les années précédentes, elle avait fait de multiples allers et retours à l’hôpital, où on lui avait diagnostiqué diverses affections comme la schizophrénie, la maniaco-dépression et le trouble de la personnalité « borderline ». Ne réagissant à aucun traitement médicamenteux, elle avait également été suspectée de simulation. Elle finit entre les mains du docteur R., spécialisé dans le traitement des désordres dissociatifs. Ayant plus confiance en lui qu’en ses médecins précédents, Mary fit le récit révélateur suivant.
    Son père était mort alors qu’elle avait deux ans, et sa mère s’était presque immédiatement remariée. Son beau-père, disait-elle, était gentil avec elle, « bien qu’il aille parfois trop loin ». Pendant l’enfance, elle avait souffert de violents maux de tête. Elle avait peu d’appétit – elle se souvient d’avoir été fréquemment punie pour n’avoir pas terminé son assiette. Ses années d’adolescence furent tumultueuses, affectées par de spectaculaires changements d’humeur. Elle se rappelle vaguement avoir été temporairement exclue du collège pour une incartade, mais ses souvenirs de ses années scolaires sont partiels. En les décrivant, elle recourt parfois – sans s’en rendre compte – à la troisième personne (« Elle a fait ceci », « Cela lui est arrivé »), ou encore à la première personne du pluriel (« Nous sommes allées chez mamie »). Elle possède des connaissances dans beaucoup de domaines, est créative d’un point de vue artistique et sait jouer de la guitare ; mais quand on lui demande où elle a appris à s’en servir, elle répond qu’elle ne le sait pas et change de sujet. Elle est d’accord avec le fait qu’elle est « distraite » – « Mais ne le sommes-nous pas tous ? » Par exemple, elle peut constater qu’il y a dans son placard des vêtements qu’elle ne se souvient pas d’avoir achetés, ou se rendre compte qu’elle a envoyé deux cartes d’anniversaire à sa nièce. Elle revendique la possession de valeurs morales bien ancrées, mais elle admet que certaines personnes la traitent d’hypocrite et de menteuse. Elle tient un journal – « pour être au courant, dit-elle, de ce que nous faisons ».

    Le docteur R. (qui traite déjà quatre multiples) commence à reconnaître un profil. Lorsque, après quelques mois de traitement, il voit le journal de Mary et constate que son écriture varie d’une entrée à l’autre comme s’il était tenu par plusieurs personnes, il entreprend (selon ses propres termes) d’« aller chercher l’or ». Avec l’accord de Mary, il décide de faire une séance d’exploration sous hypnose. Il la met en état de transe légère et demande que « la part de Mary qui ne s’est pas encore montrée » se fasse connaître. Une transformation radicale se manifeste alors dans la femme en face de lui. Mary, jusque-là un modèle de bienséance, lui adresse un sourire enjôleur. « Hello, docteur, dit-elle, je suis Sally... Mary est une lavette. Elle croit tout savoir, mais je peux vous dire... » Cependant, Sally ne dit pas grand-chose au médecin, du moins pas encore. Au cours des séances suivantes (conduites sans hypnose), Sally va et vient, comme si elle jouait avec le docteur R. Elle lui permet d’entr’apercevoir ce qu’elle appelle « les heures heureuses », et laisse entendre qu’elle a une histoire séparée et hors normes inconnue de Mary. Puis, soudain, d’un mouvement brusque de la tête, elle s’échappe, laissant Mary, qui jusque-là a semblé rester en dehors de la conversation, expliquer où elle est partie.

    Le docteur R. commence dès lors à voir sa patiente deux fois par semaine, pour des séances de plusieurs heures. Au cours de l’année suivante, il découvre, outre l’existence de Sally, celle d’une famille complète de personnalités autres, chacune dotée d’un style propre. « Sally » est aguichante, « Hatey » est coléreuse, « Peggy » est jeune et malléable. Chacune a une histoire à raconter durant les moments où elle est « en scène », et chacune a sa collection de souvenirs personnels. Tandis que chaque alter prétend savoir ce qui se passe dans la vie de Mary, celle-ci, à l’inverse, nie connaître plus que des on-dit sur leurs rôles.

    La transition d’une personnalité à une autre est imprévisible et apparemment spontanée. La seule indication d’un changement imminent est, tout à coup, un air absent, parfois accompagné par un geste de Mary qui se masse les sourcils ou se couvre les yeux (comme si elle souffrait brusquement). Mais, leur confiance réciproque se renforçant, il devient plus facile pour le docteur R. de convoquer « à la demande » les différents alters.

    L’objectif du praticien vis-à-vis de Mary devient dès lors d’opérer une « intégration », c’est-à-dire une fusion des différentes personnalités en une seule. Pour y parvenir, il lui faut non seulement présenter les différents alters les uns aux autres, mais aussi explorer les origines du désordre. Il fait donc lentement pression sur sa patiente pour acquérir plus d’informations sur les circonstances qui l’ont conduite à se « diviser ». Rassemblant petit à petit les données, il en arrive, bon gré mal gré, à une version des événements qu’il a déjà devinée en partie. Voici l’histoire sur laquelle Mary et les autres tombent finalement d’accord. Quand Mary avait quatre ans, son beau-père commença à la prendre dans son lit. Il la surnomma Sandra, et lui dit que « papa-amour » appartenait à Sandra et que c’était son petit secret... Il la caressait et lui demandait de le caresser. Il éjaculait contre son ventre. Il le fit dans ses fesses et dans sa bouche. Parfois, Mary essayait de lui plaire. Parfois, elle restait aussi immobile qu’une poupée. Parfois encore, elle était malade et pleurait en disant qu’elle n’en pouvait plus. À une occasion, elle lui dit qu’elle allait en parler, mais l’homme la frappa et lui raconta qu’ils iraient tous deux en prison. Finalement, quand la douleur, le sentiment de souillure et la honte devinrent trop lourds à supporter, Mary, tout simplement, « laissa tout cela derrière elle » : pendant que l’homme abusait d’elle, elle se dissociait et s’envolait dans un autre monde. Elle partait, et laissait Sandra prendre sa place.

    Ce qui se passa ensuite, insiste le docteur R., ne relève que de la spéculation. Mais il se le figure ainsi. Pendant les – cruciales – années suivantes (ces années durant lesquelles un enfant s’enracine généralement dans le terreau de la société humaine et développe un sens unitaire du « Je » et du « Moi »), Mary fut en mesure de fonctionner quasi normalement. Protégée de toute connaissance de l’horreur, elle possédait une histoire, des sentiments ainsi que des relations intelligibles avec les divers membres de sa famille. La « personne-Mary » qu’elle était en train de devenir était une personne unique avec une histoire unique. Le gain de Mary correspondait cependant à la perte de Sandra. Car Sandra savait. Et ce savoir, les premières années, était paralysant. Quoi qu’elle fasse, il n’existait pas une histoire unique qu’elle aurait pu raconter et qui aurait contenu ses expériences contradictoires ; pas de « personne-Sandra » qu’elle puisse devenir. Aussi Sandra, dans un état de vague ébauche, se retira-t-elle dans l’ombre tandis que Mary – si l’on excepte « papa-amour » – occupait le premier plan.

    Mais si Mary pouvait se diviser, Sandra le pouvait également. Et c’est, semble-t-il, ce qui arriva. Incapable de donner du sens à l’ensemble, Sandra donna du sens à des parties de l’ensemble – non pas, bien sûr, de manière consciente et délibérée, mais avec la ruse d’un dessein inconscient. Elle morcela les divers aspects de ses agressions et en assigna chaque facette à une personnalité différente (greffant de cette façon chaque série de souvenirs comme une branche latérale sur le tronc qu’elle partageait avec Mary). Ainsi l’expérience de son désir de plaire à « papa » a-t-elle conduit à ce qui est devenu le Soi de Sally. Son expérience de la douleur et de la colère a donné naissance à Hatey. Tandis que celle de jouer à être une poupée a enfanté Peggy. Désormais, ces descendants de la Sandra originelle pouvaient, avec une relative sécurité, émerger en plein jour. Et, très vite, des opportunités se présentèrent, leur permettant de mettre à l’épreuve leur nouvelle force dans des cadres autres que celui des sévices sexuels du début. Quand Mary s’énervait contre sa mère, Hatey pouvait mettre son grain de sel et prendre en charge les hurlements. Lorsque Mary se faisait embrasser par un garçon dans la cour de récréation, Sally pouvait lui rendre son baiser. Chacun des alters pouvait faire ce à quoi « il était bon » – et la vie de Mary n’en devenait que plus simple. Cette configuration de ce qui pourrait être appelé la « division du travail émotionnel » ou la « thérapie du Soi de rechange » se révéla non seulement viable, mais très efficace.

    Elle devint donc un mode de fonctionnement habituel. Avec le temps, chaque membre de cette famille de personnalités bâtit progressivement son propre stock de souvenirs, de compétences, d’idiosyncrasies et de styles sociaux. Ils vivaient dans les différentes ailes d’un château de cartes. Pendant l’adolescence, les brusques changements d’humeur de Mary et son inconstance pouvaient être mis au compte d’une « adolescente rebelle ». Mais à l’approche de la trentaine, sa vraie fragilité commença à se faire jour – et elle sombra dans la confusion et la dépression.

    Bien que nous ayons raconté cette histoire sous une forme de scénario de bande dessinée, il ne fait pour nous aucun doute qu’il existe bel et bien des cas semblables à celui de Mary. Ou, plutôt, devrions-nous dire que nous ne doutons pas qu’il y ait des gens et des médecins bien réels auxquels ce cas d’école pourrait très bien s’appliquer. Pourtant, à l’instar de nombreuses autres personnes ayant adopté une position sceptique au sujet du TPM, nous avons des réserves quant à la valeur d’un tel cas d’école.

    Comment être sûr que les événements se sont bien déroulés de la manière décrite ? Existe-t-il une confirmation extérieure au fait que Mary ait réellement subi des sévices sexuels ? Son histoire correspond-elle à ce que les autres gens disent d’elle ? Comment savons-nous qu’il ne s’agit pas seulement du fruit d’une imagination hystérique ? Dans quelle mesure le médecin l’a-t-il guidée dans cette direction ? Qu’est-il apparu pendant les séances d’hypnose ? Et, d’ailleurs, quelle est vraiment la signification de tout cela ? Que devons-nous faire de l’interprétation du docteur R. ? Est-il vraiment possible pour un être humain d’avoir plusieurs Soi(s) différents ?

    C’est la réponse à cette dernière question – livrer une théorie du TPM acceptable d’un point de vue philosophique et scientifique – qui nous intéresse tout particulièrement. On pourrait toutefois nous rétorquer que nous devrions commencer par une discussion de l’« évidence factuelle » : car pourquoi discuter de la base théorique de quelque chose dont l’existence n’a pas encore été prouvée ? Nous répondrons ceci : sauf si le TPM est démontré (et jusqu’à ce qu’il le soit) comme étant possible d’un point de vue théorique – c’est-à-dire comme n’étant en contradiction ni avec la logique ni avec la science, toute analyse des faits risquera d’être compromise par une incrédulité a priori.

    Dans son essai sur les miracles, David Hume désigne « une maxime générale digne de toute notre attention : «nul témoignage ne suffit à établir un miracle, à moins que le témoignage ne soit de telle sorte que la fausseté en fût plus miraculeuse que le fait qu’il s’efforce d’établir» » (Hume 2004 : 142). L’histoire des sciences fait état, à de multiples reprises, de phénomènes semblant d’ordre miraculeux et qui ne furent pas, et peut-être ne pouvaient pas être, pris au sérieux jusqu’à ce que quelque forme d’autorisation théorique ait été apportée (il en alla ainsi des revendications de l’acupuncture, assumées par les scientifiques occidentaux comme étant sans fondement, et donc fausses, jusqu’à ce que la découverte des narcotiques endogènes ouvre la voie à une explication scientifique). Nous espérons nous trouver dans une meilleure position pour confirmer les témoignages concernant le TPM (c’est-à-dire être à la fois critiques et ouverts), si nous pouvons tout d’abord établir que le phénomène est non seulement possible, mais encore, en certaines circonstances, plausible.

    Nombreux sont ceux qui trouvent commode ou convaincant de parler du Soi mais qui préfèrent qu’on ne leur pose pas la fameuse question des habits neufs du roi : qu’est-ce exactement qu’un Soi ? Si l’on est confronté à une question qui semble, et c’est embarrassant, de nature métaphysique, il est tentant de temporiser et d’agiter vaguement la main : « Ce n’est pas vraiment une chose mais plutôt une sorte de... euh... de concept, ou de principe organisant, ou encore... » Bien évidemment, ce n’est pas une réponse. Mais quelle serait-elle ? On peut, et ce fut fait, adopter deux points de vue opposés. Demandez à un profane son avis sur le Soi, et sa réponse spontanée sera probablement que le Soi d’un individu est, bien sûr, quelque chose de réel : un contremaître fantomatique vivant dans sa tête, élaborant ses pensées, dépositaire de ses souvenirs, détenteur de ses valeurs, son « Moi » intérieur conscient. Bien qu’il soit peu vraisemblable, de nos jours, que soit employé le mot « âme », c’est bel et bien cette vieille conception que notre profane aura en tête. Un Soi (ou une âme) est une entité existante dotée de pouvoirs exécutifs sur le corps et de qualités stables. Appelons cette image réaliste du Soi l’idée d’un « Soi véridique ».

    Comparez ce point de vue avec celui de l’image révisée du Soi devenue populaire parmi certains psychanalystes et philosophes de l’esprit. Pour eux, les Soi(s), loin d’être des choses, sont des fictions explicatives. Personne ne possède réellement en son sein un agent de type âme : nous trouvons seulement commode d’imaginer l’existence de ce Moi intérieur conscient quand nous tentons de rendre compte de ces fictions (ou, dans notre propre cas, de notre flux conscient personnel). Nous pourrions, bien sûr, dire que le Soi ressemble plutôt au « centre de gravité narratif » d’une série d’événements biographiques et de tendances. Mais une telle chose n’existe pas plus (avec une masse, une forme et une couleur)2 qu’un centre de gravité physique. Appelons cette image non réaliste du Soi l’idée d’un « Soi fictif ».

    Mais, pourrait-on penser, il ne s’agit peut-être que du niveau où l’on place la description : le Soi véridique de l’homme ordinaire correspondrait à la réalité intrinsèque, tandis que le Soi fictif du philosophe correspondrait aux tentatives (fatalement insuffisantes) des individus visant à appréhender cette réalité intrinsèque. Ainsi existe-t-il bien un Soi véridique-Nicholas-Humphrey qui réside actuellement dans l’un des auteurs de cet article, à côté de divers Soi(s fictifs-Humphrey que ses relations et lui-même ont reconstruits : Humphrey vu par Humphrey, Humphrey vu par Dennett, Humphrey vu par sa mère, etc. Cette suggestion toutefois ne répond pas à la critique révisionniste pour laquelle, répétons-le, il n’existe pas de Soi véridique. Aucun des Soi fictifs- Humphrey – y compris la version d’Humphrey lui-même – ne correspond à ce qui existe vraiment sous le crâne d’Humphrey. À première vue, cela peut sembler déraisonnable. Même s’il est difficile d’observer quoi que ce soit dans la tête d’un individu, et qu’il est possible que ce soit une erreur de parler d’un « contremaître fantôme », il n’en demeure pas moins qu’il faut bien qu’il existe quelque sorte de contremaître par-là : un programme de supervision du cerveau, un contrôleur central ou autre chose encore... Comment pourrions-nous fonctionner autrement – et il est clair que la plupart des gens fonctionnent plutôt bien – en tant qu’agent déterminé et relativement bien intégré ?

    La biologie et l’intelligence artificielle fournissent la réponse suivante : les systèmes complexes peuvent fonctionner d’une manière qui semble « déterminée et intégrée », tout simplement parce qu’ils ont de nombreux sous-systèmes qui font leur travail sans aucune supervision centralisée. Ce qui n’est pas le cas de la plupart des systèmes existants qui possèdent des contrôleurs centraux. Le comportement d’une colonie de termites en fournit une illustration limpide. La colonie, en tant que tout, construit des monticules, apprend à connaître son territoire, organise des expéditions pour collecter des vivres, des raids contre d’autres colonies, etc. La cohésion du groupe et sa coordination sont si remarquables que les observateurs les plus sceptiques ont bien dû postuler l’existence d’une « âme collective » de la colonie (Marais 1937). Et pourtant, toute cette sagesse du groupe ne résulte de rien d’autre que de l’association d’une multitude de termites, pris individuellement, regroupés en plusieurs castes spécialisées, vaquant à leurs propres affaires, et influencés les uns par les autres et non par un plan d’ensemble3.

    Dans la confrontation entre les réalistes et les partisans d’une approche révisée, ces derniers gagnent-ils haut la main ? Pas totalement, non. Quelque chose manque ici. Mais la question de la nature de cette « chose manquante » est débattue vigoureusement en sciences cognitives, dans des termes qui deviennent de plus en plus abscons. Heureusement, nous pouvons éviter une grande part de la discussion technique et même la sauter en utilisant une métaphore imagée (rappelant celle de La République de Platon, mais dans un but assez différent). Considérez les États-Unis d’Amérique. Sur le plan fictif, il n’y a sûrement rien de mal à personnifier ce pays et à en parler (un peu comme de la colonie de termites) comme s’il avait un Moi intérieur. Les États-Unis ont des souvenirs, des sentiments, des goûts et des dégoûts, des espoirs, des talents, etc. Ils haïssent le communisme, sont hantés par la mémoire du Vietnam, sont scientifiquement créatifs, socialement maladroits, quelque peu moralisateurs, assez sentimentaux. Mais cela signifie-t-il (ici, c’est le « révisionniste » qui parle) qu’il y a une agence centrale aux États-Unis qui personnifie toutes ces qualités ? Bien sûr que non. Il se trouve qu’il existe une aire particulière du pays où sont rassemblées beaucoup de ces réalités. Allez à Washington et demandez à parler à monsieur Soi américain et vous ne trouverez personne. En revanche, vous trouverez un tas d’agences différentes (le département de la Défense, le Trésor, les tribunaux, la bibliothèque du Congrès, la National Science Foundation, etc.) fonctionnant de manière relativement indépendante les unes par rapport aux autres.

    Bien sûr (et c’est maintenant le réaliste qui parle), il n’existe pas de monsieur Soi américain, mais force est de constater qu’il y a bien dans tous les pays du monde quelqu’un à la tête de l’État : un président, une reine, un chancelier ou quelque autre figure de ce type. La tête de l’État peut ne pas détenir de pouvoir exécutif ; elle n’endosse certainement pas tous les rôles subsidiaires (le président des États-Unis ne porte pas d’armes, ne siège pas au tribunal, ne joue pas au baseball ou ne va pas dans la Lune...). On attend néanmoins d’elle qu’elle s’intéresse activement à toutes ces activités nationales. Le Président est censé apprécier mieux que quiconque l’« état de l’Union ». Il est censé représenter les différentes parties de la nation, les faire communiquer entre elles et leur inculquer un système de valeurs commun. Mieux encore, et c’est ce qui importe le plus, il est le « porte-parole » quand il s’agit de négocier avec d’autres nations. Cela ne veut pas dire pour autant qu’un pays n’ayant pas une telle figure dirigeante ne pourrait plus fonctionner au quotidien. Mais cela signifie qu’à plus long terme il pourrait fonctionner bien mieux s’il en avait une. On peut, en effet, argumenter avec raison que les nations, à la différence des colonies de termites, ont tout particulièrement besoin de ce genre de tête dirigeante, condition de leur survie politique, en raison de la complexité des affaires internationales.

    Le sens de cette analogie est évident. Un être humain peut aussi avoir besoin d’une tête dirigeante intérieure, surtout en raison de la complexité de la vie sociale humaine. Considérez, par exemple, le corps connu sous le nom de Daniel Dennett. Si nous devions chercher dans son cerveau un module « chef de l’exécutif », possédant toutes les propriétés mentales que nous attribuons à Dennett lui-même, nous serions déçus. Et pourtant, si nous devions interagir avec Dennett sur le plan social, lui et nous trouverions vite essentiel de reconnaître quelqu’un – une figure dirigeante – comme son porte-parole et, bien sûr, son leader. Ainsi la boucle est-elle bouclée, et nous revenons, à un niveau quelque peu inférieur cependant, à l’idée d’un Soi véridique : non pas un contremaître fantomatique, mais quelque chose qui ressemble plus à un « Président du Cerveau » avec un réel, quoique limité, rôle causal à jouer afin de représenter la personne auprès d’elle-même et auprès du monde4.

    Si cela est accepté (et nous pensons que ce devrait l’être), nous pouvons nous tourner vers la question épineuse de l’auto-développement et de l’auto-établissement. Dans un premier temps, l’analogie avec la tête de l’État peut sembler moins utile. Tout d’abord parce que, aux États-Unis du moins, le Président est élu démocratiquement par les citoyens. Ensuite, parce que les candidats à la présidence sont des entités préformées, déjà en attente dans les coulisses. Pourtant, en est-il réellement ainsi ? On pourrait tout aussi bien soutenir que les candidats présidentiels, plutôt que d’être préformés, sont en fait créés – à travers un processus dialectique narratif – par la population même à laquelle ils offrent leurs services en tant que Président. Par conséquent, la population (ou les médias) met tout d’abord au point diverses versions fictives de ce qu’ils pensent devoir être leur « Président idéal » ; puis les candidats s’adaptent aussi bien que possible à cette image. Dans la mesure où il existe plus d’une fiction dominante sur « ce que signifie être américain », plusieurs postulants se moulent de manière différente à ces attentes. Mais, au final, il n’y aura qu’un seul élu, et il revendiquera, bien sûr, d’être le porte- parole de la nation tout entière.

    Il nous semble que, suivant le même schéma, un être humain crée d’abord, de manière inconsciente, un ou plusieurs Soi(s) fictifs avant de choisir le plus confirmé d’entre eux pour devenir son Président du Cerveau. Il existe toutefois une différence significative dans le cas de l’être humain : il subira très probablement beaucoup plus d’influences extérieures. Ses parents, ses amis, voire ses ennemis peuvent tous contribuer à l’image de « ce que signifie être moi », dans une mesure égale – et peut-être bien supérieure – à l’action des médias. « Papa », par exemple, peut imposer à l’enfant en développement un Soi fictif invasif.

    Ainsi, un être humain ne commence pas sa vie avec un Soi unique ou multiple – il la débute sans aucun Président du Cerveau. Au cours de son développement, il découvre progressivement les différentes possibilités du Soi qui « font sens » – en partie grâce à ses observations propres, en partie du fait d’influences extérieures. Dans la plupart des cas, un point de vue dominant émerge, favorisant nettement une version du « vrai Soi », et cette version est choisie et installée dans le rôle de Président du Cerveau. Mais il arrive que les Soi(s) fictifs en compétition soient de force égale, ou que les différentes circonscriptions électorales de la personne soient si peu désireuses d’accepter le verdict des urnes qu’il règne un chaos constitutionnel et que des coups d’État se produisent sans cesse.

    Un modèle inspiré de cette analogie pourrait-il rendre compte des trous de mémoire, des différences de style et autres symptômes du TPM ? Il est certain que l’analogie procure une foule de détails suggérant une réponse positive. Une fois en place, un Président du Cerveau minimise typiquement certains aspects « malheureux » de l’histoire de son pays (tout spécialement lorsqu’ils sont associés au rival qui l’a précédé dans la place). Qui plus est, lui-même, en représentant certaines valeurs nationales, affecte en retour le cours de l’histoire à venir en encourageant l’expression de ces valeurs par la population (confirmant ainsi, par une sorte de feed-back, son propre rôle). Revenons au cas de Mary. Du fait de son expérience de sévices sexuels, elle (l’entière, la désorganisée, l’agglomérat de parties différentes) en est venue à posséder plusieurs images alternatives de la vraie Mary, chacune étant sponsorisée par les « circonscriptions » qui la composent. Ces images étaient si incompatibles entre elles et, pourtant, les forces électorales les poussant en avant étaient si puissantes qu’il ne pouvait pas y avoir d’accord durable sur celle qui devait la représenter. Pendant un temps, la circonscription-Mary fit son chemin, l’emportant sur la circonscription-Sandra. Mais, par la suite, Sandra se subdivisa en Sally, Hatey et Peggy ; et lorsque l’opportunité s’en présentait, ces forces conjointes se regroupaient, commençant à gagner des batailles électorales. Mary devint structurellement instable, sans réponse permanente à la question : « Qui suis-je vraiment ? » Chaque nouveau Président du Cerveau (temporairement élu) mettait en avant différents aspects de son expérience et bloquait le passage aux autres ; et chacun d’eux faisait ressortir des traits de caractère caricaturaux.

    Nous avons utilisé ici des métaphores. Mais il ne serait pas difficile de les formuler en des termes utilisés par les sciences cognitives. Tout d’abord, quel sens peut-on donner à la notion de « Président du Cerveau » ? L’analogie avec un porte-parole peut être assez proche de la vérité littérale. Les systèmes de production du langage du cerveau doivent obtenir quelque part leurs instructions ; et les exigences mêmes de la grammaire et de la pragmatique conspireraient afin de conférer une sorte d’autorité de type Président du Cerveau à tout sous-système contrôlant leur alimentation. E. M. Forster fit remarquer : « Comment puis-je dire ce que je pense avant d’avoir vu ce que je dis ? » Les trois « je » de cette phrase sont censés se référer à la même entité. Mais cette tradition grammaticale peut dépendre – et a toujours dépendu – du fait que la pensée exprimée dans la question de Forster se confirme elle-même quasi littéralement : ce que « je » (mon Soi) pense est ce que « je » (mon appareil de langage) dis.

    Il n’existe cependant aucune garantie que, soit le locuteur, soit n’importe quelle personne qui l’entend sur une longue période, en tire la conclusion qu’il n’existe qu’un seul « je ». Supposez qu’à différents moments différents sous-systèmes du cerveau produisent des « agglomérats » de discours qu’il est difficile d’interpréter comme la production d’un Soi unique. Dans ce cas – de la même manière qu’un spécialiste de la Bible peut le découvrir en travaillant sur la paternité partagée de ce qui est censé être le texte d’un seul auteur –, il se peut que les agglomérats en question deviennent plus compréhensibles lorsqu’ils sont attribués à différents Moi(s).

    Qu’en est-il de l’amnésie sélective dont font montre les différents Présidents du Cerveau ? Pour les lecteurs qui ont une vague notion du traitement de l’information par un ordinateur, l’idée de plusieurs « répertoires » d’informations stockées, mutuellement inaccessibles, sera déjà familière. En psychologie cognitive, de nouvelles découvertes au sujet de l’apprentissage « state-dependant » et d’autres données sur la modularisation du cerveau ont conduit à reconnaître que le fait qu’il n’existe pas d’accès entre différents sous-systèmes est la norme plutôt que l’exception. En fait, la vieille image cartésienne d’un esprit « transparent pour lui-même » semble maintenant rarement, voire jamais, réalisable (ni même désirable) dans la pratique. Dans ce contexte, le manque de contact entre différents Soi(s) ne semble plus si surprenant.

    Quelle pourrait être la base des différents « systèmes de valeurs » associés à des Présidents du Cerveau rivaux ? À un autre niveau d’analyse, les données psychopharmacologiques suggèrent que le style émotionnel propre à chacune des différentes personnalités pourrait correspondre à l’activation ou à l’inhibition, dans l’ensemble du cerveau, des chemins neuronaux qui dépendent des divers neurotransmetteurs chimiques. Ainsi le style flegmatique de la personnalité de Mary pourrait-il être associé à un bas niveau de norépinéphrine, le passage au style hypersexué de Sally, à un niveau élevé de cette même substance, tandis que la rebelle Hatey pourrait être liée à un bas niveau de dopamine.

    Même l’idée d’une « élection » du Président actuel du Cerveau n’est pas si improbable. Des activités ressemblant fort à des élections se déroulent constamment dans le cerveau, à chaque fois que des modèles cohérents d’une activité sont en compétition pour le contrôle du même réseau. Considérez, par exemple, ce qui se passe lorsque le système visuel reçoit deux images conflictuelles. Il essaie tout d’abord de les fusionner, mais le résultat s’avère instable, et la « rivalité binoculaire » aboutit à ce que l’information fournie par un œil l’emporte sur celle donnée par l’autre, cette autre information étant alors supprimée. Nous avons en effet, au niveau de la neurophysiologie de la vue, des données très claires sur la préférence, en général, du cerveau pour la simplicité plutôt que pour la complétude.

    Ces idées sur la nature du Soi ne sont en aucun cas nouvelles. Charles Sanders Peirce (1955 : 258), par exemple, avait formulé un point de vue proche dès 1905 : « Une personne n’est pas de manière absolue un individu unique. Ses pensées sont ce «qu’il se dit à lui-même», c’est-à-dire ce qu’il dit à l’autre soi qui prend vie au fil du temps. »

    Au sein de la tradition psychanalytique, Heinz Kohut a écrit au tout début des années 1970: « Il me semble qu’une formulation qui place le Soi au centre de la personnalité en tant qu’instigateur de toutes les actions et en tant que récipient de toutes les impressions exigerait trop... Si, au contraire, nous mettons notre confiance dans l’observation empirique, [...] nous verrons différents Soi(s), chacun d’eux possédant une configuration psychologique durable, [...] se battant pour prendre l’ascendant, se bloquant mutuellement, passant des compromis entre eux tout en agissant de manière contradictoire les uns avec les autres dans le même temps. En général, nous assisterons à ce qui ressemble à une difficile victoire d’un Soi sur tous les autres » (Kohut 1985 : 33).

    Robert Jay Lifton a défini le Soi comme le « symbole inclusif de l’organisme d’un individu » ; et dans ses discussions sur ce qu’il nomme le « protéanisme » (une forme endémique de la multiplicité chez les humains modernes) et le « dédoublement » (par exemple, la double vie des médecins nazis), il a souligné la lutte que mènent tous les êtres humains afin de conserver leurs Soi(s) symboliques rivaux dans une harmonie symbiotique (Lifton 1979, 1986). Ces idées, cependant, ont bien sûr été formulées sans référence aux données récemment rassemblées sur le TPM. De plus, la majeure partie des travaux antérieurs souligne la continuité sous-jacente de la structure psychique humaine : un unique courant de conscience se manifestant sous telle ou telle configuration. Rien dans les écrits de Kohut ou de Lifton ne nous a préparés à la radicale discontinuité de la conscience, qui – si elle existe réellement – est manifeste dans le cas d’une multiple comme Mary.

    Ce qui nous amène à la question laissée en suspens jusqu’ici : existe-t-il un « réel trouble de personnalité multiple » ? Nous espérons, à la lumière de la discussion précédente, être à même de nous rapprocher d’une réponse. Que voudrait dire, dans le cas du TPM, être « réel » ? Nous faisons l’hypothèse que, si le modèle que nous avons esquissé s’approche de la vérité, cela impliquerait pour le moins ce qui suit :

    1. Le sujet aura, à différents moments, différents « porte-parole » correspondant à différents Présidents du Cerveau. Qu’on se place d’un point de vue subjectif ou objectif, cela équivaudra à avoir différents Soi(s), car l’accès que chaque porte-parole aura aux souvenirs, attitudes et pensées des autres porte-parole sera, en général, aussi indirect et intermittent que l’accès que peut avoir un être humain à l’esprit d’un autre.

    2. Chaque Soi, lorsqu’il est présent, revendiquera le contrôle conscient sur la conduite du sujet. Ce Soi considérera les actions en cours du sujet comme étant ses actions, ses propres expériences, ses souvenirs propres, etc. (Parfois, le Soi en scène pourra être conscient de l’existence d’autres Soi(s) – il pourra même les entendre parler en arrière-fond –, mais il ne sera pas conscient en même temps qu’eux.)

    3. Chaque Soi sera convaincu – comme si c’était par « ses propres arguments » – de son intégrité et de son importance personnelles.

    4. Cette autorhétorique sera convaincante non seulement pour le sujet, mais aussi (toutes choses étant égales par ailleurs) pour les autres personnes avec lesquelles il communique. 

    5. Les différents Soi(s) comporteront des différences intéressantes. Chacun adoptera un style de présentation distinctif – qui, très vraisemblablement, sera associé à des différences physiologiques.

    6. La « division » en Soi(s) séparés aura généralement eu lieu avant l’entrée du patient en thérapie.

    À présent, quels sont les faits que nous possédons sur le TPM ? Tout d’abord, nous sommes obligés de constater que nous n’avons aucun cas répondant à tous ces critères. Nous nous retrouvons plutôt devant une pléthore d’histoires isolées, de récits autobiographiques, de rapports cliniques, de procès-verbaux policiers, et un faible nombre d’études scientifiques. À partir de ces éléments, les réponses suivantes prennent forme.

    Le phénomène existe-t-il ?

    Sans aucun doute, il existe ce qu’on pourrait appeler un « candidat phénomène ». Il y a des milliers de gens, vivant aujourd’hui, qui, au cours d’investigations cliniques, se sont présentés comme possédant plusieurs Soi(s) indépendants (ou « porte-parole » de leur esprit). De tels cas ont été décrits dans des revues scientifiques réputées, ont été filmés, montrés à la télévision, ils ont subi des contre-interrogatoires dans des tribunaux. Nous en avons nous-mêmes rencontré plusieurs et avons été jusqu’à débattre avec eux des raisons pour lesquelles nous devrions croire à leurs dires. Les sceptiques peuvent toujours choisir de douter de l’importance du phénomène, mais ils ne devraient plus douter de son existence.

    Les multiples croient-ils eux-mêmes en ce qu’ils disent ?

    Il est certain qu’ils semblent y croire. En milieu clinique, du moins, différents Soi(s) insistent de manière acharnée sur leur intégrité et résistent à toute suggestion qu’ils pourraient être en train de « jouer la comédie » (suggestion, il faut en convenir, que la plupart des thérapeutes évitent). Ils ne donnent pas l’impression d’individus en train de jouer, mais plutôt celle de personnes inquiètes essayant de faire de leur mieux, dans des circonstances qu’il faut véritablement qualifier de difficiles, pour donner un sens à ce qu’ils considèrent comme les faits bien réels de leur expérience.

    Lorsqu’ils sont confrontés à des faits qu’ils ne comprennent pas, les patients manifestent ce qui semble être une authentique perplexité, plus convaincante que tout. Ainsi, une femme nous raconta comment elle suspectait d’autres personnes de lui jouer des tours quand – ce qui arrivait souvent – elle retrouvait en rentrant chez elle son salon, d’ordinaire bien ordonné, dans un fouillis indescriptible. Un jeune homme rapporta combien ses amis s’étaient moqués de lui pour l’avoir vu traîner autour de bars gays : pendant plusieurs mois, il essaya de se laisser pousser la barbe afin de leur prouver sa virilité, mais, aussitôt qu’une barbe de plusieurs jours ombrageait ses joues, quelqu’un – il ignorait qui – la rasait. Une femme découvrit qu’on tirait mystérieusement sur son compte bancaire et dit à la police que quelqu’un se faisait passer pour elle. Nous avons entendu parler du cas d’un patient extrêmement sceptique qui refusait d’accepter le diagnostic de son thérapeute jusqu’à ce qu’ils apprennent tous deux que l’un de ses alters allait voir un autre thérapeute.

    Cela ne veut pas dire que toutes ces histoires tiendraient debout face à un examen critique, c’est-à-dire face à un examen respectant les standards de la « vie ordinaire ». Mais tout cela, semble-t-il précisément, pose tout autant problème au patient qu’à n’importe qui d’autre. Il est clair que ces individus savent tout aussi bien que vous et moi que quelque chose ne tourne pas rond chez eux et que leurs vies ne semblent pas se dérouler aussi facilement que celles de leurs voisins. De fait, le contraire serait surprenant (et soulèverait notre suspicion) : car, comme on dit, ils ne sont pas nés de la dernière pluie et ils sont, généralement, trop intelligents pour ne pas reconnaître que, par certains aspects, leur expérience est pour le moins bizarre. Nous avons rencontré une femme, Gina, qui a un alter masculin, Bruce, et lui avons posé une question « normale » évidente : quand Bruce va aux toilettes dans un lieu public, choisit-il celles pour les dames ou celles pour les messieurs ? Il confessa qu’il allait dans les premières ; en effet : « Quelque chose est allé de travers avec mon anatomie », et « je me suis retrouvé être un homme vivant dans un corps de femme ».

    Pendant plusieurs années circula un bulletin « multiple », S4OS (Speaking for Our Selves), dans lequel les patients partageaient leurs expériences et leurs stratégies. En septembre 1987, S4OS revendiquait 691 abonnés5.

    Réussissent-ils à faire croire en eux ?

    Il ne fait pour nous aucun doute que le thérapeute qui diagnostique un cas de TPM est authentiquement convaincu d’avoir affaire à différents Soi(s). Mais, de notre point de vue, une question plus cruciale est celle de savoir si d’autres personnes qui ne sont pas vraiment au fait du diagnostic l’acceptent. D’après notre analyse (et d’ailleurs d’après toutes celles auxquelles nous pouvons penser), les Soi(s) ont un rôle public tout autant que privé à jouer : en effet, ils existent avant tout pour gérer des interactions sociales. Il serait donc pour le moins étrange que l’un ou tous les Soi(s) d’un patient demeure(nt) totalement cachés du monde extérieur.

    Sur cette question, les données sont étonnamment disparates. Il est vrai que fréquemment, dans le contexte thérapeutique, le patient parlera de ses rencontres dans le monde extérieur. Mais il nous faut des données provenant d’une autre source : une source neutre qui n’ait aucun lien avec le contexte dans lequel la division est attendue (contrairement à ce qui se passerait avec un autre médecin, un autre patient ou même un journaliste de la télévision). Nous avons besoin de savoir si l’image de la vie multiple que le patient et son thérapeute ont fait émerger ensemble colle avec ce que d’autres personnes ont observé de leur côté.

    À première vue, il semble que ce soit un type de données facile à obtenir, en interrogeant la famille, les amis, les collègues, etc. Certes, cela suppose pour certaines questions de respecter des règles éthiques ; ou encore, de tenir compte du fait que l’enquête risque de compromettre la thérapie en cours ou de prendre tout simplement un temps considérable. Néanmoins, il est décevant de constater le faible nombre d’enquêtes de ce type réalisées.

    Beaucoup de patients multiples sont mariés et ont des familles ; beaucoup possèdent un emploi stable. Pourtant, encore et toujours, il semble que personne dans le monde extérieur n’ait en fait noté quoi que ce soit de particulier – du moins de si particulier. Peut-être, comme nous l’ont expliqué plusieurs thérapeutes, leurs patients sont-ils étonnamment bons pour « se couvrir » (la dissimulation, débutant dans l’enfance, fait partie intégrante du syndrome et en tout cas le patient a probablement appris à éviter de se mettre, lui ou les autres, en avant). Peut-être aussi que d’autres personnes ont détecté quelque chose d’étrange avant de l’écarter, pensant qu’il s’agissait simplement d’inconstance ou de manque de fiabilité (après tout, chacun de nous a des sautes d’humeur, beaucoup de gens oublient des choses ou mentent). Gina nous a raconté comment elle avait entamé une relation amoureuse avec un homme rencontré lors d’un pot à son travail ; puis avait commencé à s’ennuyer et était partie, laissant « un des enfants » (un autre alter) se rétracter à sa place. L’homme en fut, dit-elle, assez affecté. Mais personne n’a entendu sa version à lui de l’histoire.

    Il existe certainement dans de nombreux cas, peut-être dans la majorité, quelque forme de confirmation post-diagnostic provenant de l’extérieur : le mari qui, lorsqu’on lui explique le diagnostic, s’exclame : « Maintenant je comprends tout ! », ou le petit ami qui raconte volontiers au thérapeute ce que c’est qu’être « retourné » par les différentes spécificités des alters de sa partenaire. Le mari d’une patiente admit avoir des sentiments mitigés quant à la cure imminente ou à l’intégration de sa femme : « Les petites vont me manquer ! »

    Le problème avec ce type de données fournies a posteriori, c’est que l’informateur peut simplement être en train d’adhérer à ce qu’on pourrait appeler un « diagnostic avantageux ». C’est sans doute la règle générale qu’une fois la multiplicité reconnue au cours de la thérapie, et une fois que les alters ont été « autorisés » à sortir, tout le monde gagne à adopter le style de présentation favori du patient. Nous-mêmes, lorsqu’on nous présenta une patiente qui, en une demi-heure, changea trois fois de personnalité, avons été surpris de constater combien il nous avait été facile de nous adresser à elle comme si elle était tantôt une femme, tantôt un homme, tantôt un enfant – attitude due à une combinaison de politesse et d’inquiétude à l’idée de faire fuir l’alter (de même que Peter Pan a dit : « Chaque fois que quelqu’un dit : «Je ne crois pas aux fées», une fée meurt quelque part »).

    Toute interaction avec un patient exige coopération et respect, lesquels se transforment imperceptiblement en connivence. Une autre solution pourrait consister en une observation furtive hors du milieu médical. Mais ce serait tout aussi difficile à réaliser qu’à justifier. On doit donc se borner à des rencontres qui – dans notre expérience limitée – ont un inévitable parfum de séance de spiritisme.

    Sur cette question, les thérapeutes auxquels nous avons parlé sont sur la défensive. Nous devons toutefois dire que, autant que nous le sachions, il existe peu de données probantes quant à la réalité sociale externe du TPM.

    Existe-t-il de « vraies » différences entre les différents Soi(s) ?

    Un thérapeute nous a confié que, de son point de vue, il n’était pas rare pour les différents Soi(s) d’un patient d’être plus ou moins identiques – leurs souvenirs sélectifs étant la seule chose qui les distingue. Cependant, il est plus fréquent que les Soi(s) soient décrits comme étant manifestement des personnes différentes aussi bien mentalement que physiquement. La question est alors : de telles différences vont-elles vraiment plus loin que l’éventail des manières « normales » de se présenter ?

    D’un point de vue anecdotique, les données sont séduisantes. Par exemple, un psychopharmacologue (nous avons toutes raisons de croire ses propos aussi réalistes que possible) nous a raconté comment, à sa grande surprise, un patient, qui pouvait être calmé avec seulement cinq milligrammes de Valium, avait un alter apparemment insensible à ce médicament : celui-ci restait tout aussi vif après qu’on lui avait administré par voie intraveineuse une dose de cinquante milligrammes (suffisante pour anesthésier la majorité des gens). Tout investigateur objectif potentiel du TPM est très vite frappé par la fugacité du phénomène. Il existe peu d’études scientifiques bien contrôlées, lesquelles sont d’ailleurs, pour des raisons évidentes, difficiles à conduire. Néanmoins, les données existantes indiquent toutes que les patients multiples peuvent subir, en contexte clinique, des changements psychophysiologiques profonds lorsqu’ils passent d’une personnalité à l’autre. On rapporte des faits comme des changements de latéralisation, de manières de parler, d’activité cérébrale et de la circulation sanguine dans le cerveau. Quand on mêle des échantillons des diverses écritures d’un multiple à des échantillons d’écriture de différentes personnes, les experts graphologues de la police se révèlent incapables d’identifier les premiers. Il existe des données suggérant des variations dans les réactions allergiques et le fonctionnement de la thyroïde. Des études pharmacologiques ont montré des réponses différentes à l’alcool et aux tranquillisants. Des tests de mémoire ont indiqué une authentique amnésie des personnalités croisées envers les connaissances récemment acquises (tandis que, de manière intéressante, les nouveaux savoir-faire moteurs restent assimilés) (Putnam 1984 : 31-39 ; Miller 1988 : 113 ; Nissen, Ross, Willingham, MacKenzie & Schacter 1994, 1988 : 117-134).

    Quand et comment advient la multiplicité ?

    La plupart des adhérents au mouvement TPM font l’hypothèse – que nous avons suivie jusqu’ici – que la division en Soi(s) différents (avec toutes les conséquences que nous avons évoquées) prend place dans la petite enfance6. Le thérapeute met donc au jour un syndrome préexistant, et il ou elle (car nombreuses sont les femmes thérapeutes) n’est en aucune façon responsable d’avoir créé le TPM. Mais il existe, bien sûr, une autre possibilité, à savoir que le phénomène, aussi authentique soit-il au moment où il est décrit, aurait été induit (et peut-être entretenu) par le thérapeute lui-même.

    Nous avons déjà fait allusion au fait qu’il existe très peu de données sur l’existence de la multiplicité avant le début du traitement. Un manque d’informations sur l’existence de quelque chose ne constitue pas la preuve de sa non-existence, et plusieurs articles présentés lors de la conférence de Chicago ont rapporté des cas récemment découverts de ce qui semble avoir été une multiplicité naissante chez des enfants. Néanmoins, on ne peut écarter le soupçon que le TPM soit une condition « iatrogénique » (c’est-à-dire générée par le médecin).

    La folie а deux* entre un médecin et son patient est loin d’être ignorée des annales de la psychiatrie7. Il est maintenant largement reconnu que l’éruption de « symptômes hystériques » chez les patientes de la fin du XIXe siècle (incluant la paralysie, l’anesthésie, etc.) fut provoquée par l’attention plus qu’enthousiaste de médecins (tels que Charcot) qui parvinrent à créer les symptômes mêmes qu’ils recherchaient. De ce point de vue, l’hypnose en particulier a toujours constitué un outil dangereux. Le fait qu’elle soit fréquemment employée au cours du diagnostic de multiplicité, la proximité de la relation thérapeute-patient ainsi que le vif intérêt montré par les thérapeutes pour le « théâtre » du TPM sont des motifs pour une inquiétude légitime.

    Cette inquiétude est, de fait, ouvertement partagée par les membres les plus expérimentés du mouvement TPM. Lors du colloque de Chicago, une journée entière a été consacrée à la discussion du problème de l’iatrogénie. Tous les intervenants ont insisté afin de prévenir leurs collègues thérapeutes contre les dangers de « partir à la recherche » de la multiplicité, du mauvais usage de l’hypnose, de la « fascination » pour les personnalités alters, de l’« effet Pygmalion », du « contre-transfert » incontrôlé, et de ce qui était courageusement dénoncé comme des « fautes professionnelles majeures » (c’est-à-dire l’intimité sexuelle avec des patients). Bien que le message ait été qu’il n’y a aucun besoin d’inventer le syndrome (« Vous le reconnaîtrez facilement lorsque vous le verrez pour de bon »), il est clair que ceux qui ont du métier savent parfaitement combien il est facile d’être trompeur et trompé.

    Par exemple, une patiente se présente avec une histoire de « pagaille générale ». Elle s’inquiète de juxtapositions bizarres et de trous dans sa vie, de signes indiquant qu’elle s’est comportée d’une manière qui lui semble fort étrange ; elle est angoissée à l’idée d’être en train de devenir folle. Sous hypnose, le thérapeute lui suggère que ce n’est pas elle, mais quelque partie d’elle-même qui cause les troubles. Et voilà que cette autre part émerge. Mais puisqu’il s’agit d’une autre partie, elle demande – et reçoit ainsi – un autre nom. Et puisqu’une personne avec un autre nom doit être une autre personne, elle demande – et reçoit ainsi – un autre personnage. Facile. Particulièrement facile si la patiente appartient à la catégorie de ces gens qui sont hautement influençables et se dissocient avec empressement, comme c’est le cas de ceux qui ont été l’objet de sévices sexuels. Est-il possible que ce genre de choses soit l’arrière-fond de presque tous les cas de TPM ? Nous nous en remettons aux meilleurs et aux plus expérimentés des thérapeutes pour répondre par la négative. Dans certains cas, il semble incontestable que la personnalité alter fait ses débuts en thérapie comme si elle était déjà constituée auparavant. Nous avons vu une vidéo d’un cas où, pendant la première et unique séance d’hypnose, une jeune femme pathétique, Bonny, subit une remarquable transformation en personnage s’appelant « Death », hurlant des menaces de mort à la fois contre Bonny et contre l’hypnotiseur. Bonny avait déjà fait de nombreuses tentatives de suicide, dont elle niait avoir connaissance. Bonny essaya par la suite de tuer une autre patiente dans la cour de l’hôpital et fut découverte par une infirmière en train de lécher le sang de sa victime. Il serait difficile de faire passer Bonny-Death pour l’invention d’un thérapeute trop zélé.

    Dans la plupart des cas, nous ne pouvons que suspendre notre jugement. Pas seulement parce que nous ne connaissons pas les faits, mais aussi parce que nous ne sommes pas sûrs qu’un jugement « catégorique » soit approprié. Ce qui est sûr, c’est que nous ne nous alignons pas sur ceux qui concluraient hâtivement que, si le TPM survient en contexte clinique plutôt que pendant l’enfance, il ne peut pas être « réel ». Le parallèle avec l’hystérie mérite d’être poursuivi. Comme Charcot lui-même l’a démontré de manière presque trop convaincante, une femme qui ne ressent pas de douleur quand on lui enfonce une épingle dans le bras, et dont on nomme le manque de réaction « symptôme hystérique », ne rend pas le fait moins remarquable. De même, pour une femme qui, à l’âge de trente ans, mène la vie de plusieurs Soi(s) différents – et quels que soient les doutes que nous pourrions avoir sur la manière dont elle est parvenue à ce mode de vie – il n’en demeure pas moins que nous devons tenir compte du fait que telle est maintenant sa façon de vivre.

    Si l’on suit le modèle que nous avons proposé, personne ne débute en tant que multiple ou unique. Dans tous les cas, il doit y avoir une influence externe qui fait pencher la balance d’un côté ou de l’autre. L’enfance peut bien être la phase la plus vulnérable de la vie ; mais il se peut très bien aussi que, chez certaines personnes, un état de multiplicité existe à l’état latent pendant beaucoup plus longtemps, ne parvenant à maturité que bien plus tard au cours de la vie. L’histoire suivante est instructive. Frances, une patiente, aujourd’hui totalement « intégrée », nous a parlé de la famille d’alters avec laquelle elle avait l’habitude de vivre et qui comprenait Rachel, Esther, Daniel, Sarah et Rebecca. Il nous semblait curieux qu’une Anglo-Saxonne blanche, protestante, ait pris ces prénoms hébraïques, aussi lui avons-nous posé la question de leur origine. « C’est simple, a-t-elle dit, papa avait l’habitude de jouer aux nazis et aux juifs avec moi ; mais il voulait que je sois une victime naïve, aussi me donnait-il un nouveau prénom juif chaque fois qu’il me violait. »

    Ici, il semble, comme pour Mary, que l’agresseur ait suggéré explicitement au moment des viols, même de façon involontaire, la structure du TPM. Mais supposez que Frances n’ait pas eu l’« aide » de son père pour trouver cette « solution ». Supposez qu’elle soit restée dans un stade de confusion du Soi, se débrouillant tant bien que mal pendant ses trente premières années jusqu’à ce qu’un thérapeute compatissant lui fournisse un moyen de s’en sortir (et d’aller de l’avant). Frances aurait-elle été moins une multiple pour autant ? Pour nous, la réponse est non.

    Bien entendu – même si tous deux suggèrent qu’une personne contient plusieurs Soi(s) séparé(s) –, il y a indiscutablement tout un monde entre les intentions d’un violeur incestueux et celles d’un thérapeute. Néanmoins, les conséquences sur la structure de l’esprit de la victime-patiente ne seraient pas si différentes. Une multiplicité « patrogénique » et une multiplicité « iatrogénique » pourraient être également authentiques – pour nous, elles le seraient.

    Il y a quarante ans, deux observateurs, W. S. Taylor et M. F. Martin, ont écrit : « Les personnes apparemment les plus disposées à accepter le trouble de personnalité multiple sont : a) celles qui sont très naïves ; b) celles qui ont travaillé avec des cas ou à proximité de cas » (Taylor & Martin 1944).

    C’est encore largement vrai aujourd’hui. Le monde médical demeure en effet généralement hostile – voire méprisant – envers le TPM. Pourquoi ?
    Nous avons indiqué quelques réponses. Le phénomène est considéré par beaucoup de gens comme étant scientifiquement ou philosophiquement absurde. Nous pensons que c’est une erreur. Il est considéré comme n’étant pas étayé par des données objectives. Cela nous semble faux. Il est considéré comme une folie iatrogénique. Nous pensons que, même lorsque tel est le cas, le syndrome n’en est pas moins réel.

    Mais il existe une autre raison que nous ne pouvons pas balayer : c’est le côté esprit de clan, et même de chapelle, de ceux qui épousent actuellement la cause du TPM. Dans un monde où ceux qui ne sont pas en faveur du TPM sont contre lui, il n’est sans doute pas surprenant que les « croyants » aient eu tendance à serrer les rangs. Peut-être n’est-il pas non plus étonnant que dans un colloque comme celui auquel nous avons assisté à Chicago, il y ait un certain degré d’exagération bien intentionnée et une certaine surenchère. Toutefois, nous n’étions pas préparés à ce qui, dans un temple protestant, aurait été un « témoignage ».

    « Combien de multiples avez-vous ? » demanda un thérapeute à un autre pendant le petit déjeuner à Chicago. « J’en suis à mon cinquième. – Oh ! je ne suis qu’un débutant : deux pour l’instant. – Vous connaissez le docteur Q. ? Elle en a quinze en traitement ; et je crois avoir compris qu’elle est elle-même une multiple. » Au déjeuner : « J’ai un patient dont les yeux changent de couleur. » « J’en ai un dont les différentes personnalités parlent six langues, alors qu’il est impossible qu’elles aient été apprises. » « Ma patiente Myra a subi une ligature des trompes mais quand elle est devenue Katey, elle est tombée enceinte. » Au dîner : « Ses parents lui ont fait produire des bébés pour des sacrifices humains ; elle a été, à trois reprises, une mère porteuse avant même d’avoir dix-huit ans. » « À trois ans, Peter a été forcé de tuer son petit frère et d’en manger la chair. » « On trouve beaucoup de ce genre de choses ; ils estiment qu’un quart de nos patients ont été victimes de rituels sataniques. »

    Pour être juste, ce type de racontars dessert le profond sérieux de la majorité des thérapeutes qui ont affaire au TPM. Mais le fait même qu’il y en ait, et qu’ils soient si peu contrecarrés, pourrait bien expliquer pourquoi des gens extérieurs au mouvement tiennent à garder leurs distances. Sans insister trop sur le sujet, Il faut bien dire qu’on constate partout le sentiment que les thérapeutes et les patients sont les participants d’un mystère auquel ne s’appliquent pas les standards d’objectivité habituels. La multiplicité est considérée comme une condition mi-inspirée, mi-héroïque : et presque toutes les revendications se rapportant soit aux capacités des patients, soit à l’étendue de leurs souffrances pendant l’enfance, sont écoutées avec une compassion respectueuse. Certains thérapeutes considèrent clairement que c’est un privilège d’être proches d’êtres humains si extraordinaires (et le prestige du thérapeute croît avec le nombre de multiples qu’il soigne). Nous avons été frappés par le fait que quelques-uns des spécialistes mêmes qui avaient réalisé les études scientifiques que nous avons mentionnées plus haut considéraient avec bienveillance les revendications les plus folles. Franchement, nous ne pouvons pas accepter la véracité de bien des histoires qui circulaient, et tout particulièrement de celles (leur succès fut indéniable cette année-là) qui désignaient le « culte satanique » comme origine de nombreux cas de TPM. Toutefois, un astronome croyant en l’astrologie n’en serait pas pour autant indigne de confiance en tant qu’observateur des astres, et on aurait tort de déclarer le phénomène de la multiplicité coupable par association. Le climat dans lequel se déroule le débat de nos jours est regrettable mais sans doute inévitable, non parce que tous les croyants sont crédules et tous les opposants bornés, mais parce que ceux qui ont travaillé sur des cas savent qu’ils ont vu quelque chose de si remarquable que cela défie toute description conventionnelle et que, en l’absence de cadre descriptif conceptuel accepté, ils sont conduits par un sentiment de fidélité à l’égard de leur propre expérience à soutenir des revendications hyperboliques.

    De tout ce qui précède, nous tirons, pour le moment, les conclusions suivantes :

    1. Alors que la solution unitaire au problème de l’individualité humaine est, pour la plupart des gens, désirable tant socialement que psychologiquement, elle n’est pas toujours à portée de main.

    2. La possibilité de développer de multiples personnalités est inhérente à tout être humain. La multiplicité n’est pas seulement plausible biologiquement et psychologiquement, elle peut, dans certains cas, être la meilleure, voire la seule, manière de s’en sortir face à une histoire de vie spécifique.

    3. Les traumatismes de l’enfance (habituellement d’ordre sexuel, mais ce n’est pas une obligation) sont particulièrement susceptibles de pousser quelqu’un vers un début de multiplicité. Il est possible que l’enfant développe, avec son propre accord, à partir de cet événement un trouble de personnalité multiple à part entière ; mais il semble généralement plus vraisemblable qu’une pression extérieure – ou une sanction – soit requise.

    4. Le diagnostic de TPM relève, au sein d’un certain lobby psychiatrique, de l’engouement. Bien que l’existence du syndrome clinique soit maintenant admise sans discussion, il n’existe pour l’instant aucune certitude quant à la proportion des troubles de multiplicité rapportés aujourd’hui et ayant existé avant l’intervention thérapeutique.

    5. Quelle que soit l’histoire particulière, le résultat semblerait, dans de nombreux cas, être une personne authentiquement divisée. C’est-à-dire que les raisons d’assigner plusieurs Soi(s) à un tel être humain peuvent être tout aussi bonnes – et les mêmes – que celles qui assignent un Soi unique à un être humain ordinaire.

    Il n’en reste pas moins que, même en Amérique du Nord, le diagnostic de multiplicité n’est devenu courant que récemment et qu’il n’existe quasiment pas dans le reste du monde. Nous devons, bien sûr, supposer que les facteurs prédisposant ont toujours été présents chez les êtres humains. Où se cachait donc la multiplicité ?

    La meilleure manière d’exprimer nos conclusions est sans doute de poser d’autres questions, auxquelles nous n’avons pas de réponses. En voici quelques-unes (choisies presque au hasard) qui nous semblent mystérieuses quant à la signification culturelle plus large du phénomène.

    Dans beaucoup d’endroits sur terre, l’initiation des enfants à la vie adulte a, dans le passé, impliqué des rites cruels, incluant des sévices physiques et sexuels (sodomie, mutilations et autres formes d’agressions physiques). Le résultat (peut-être même le but) de tels rites est-il de créer des adultes avec une tendance au TPM ? Y a-t-il des contextes où une capacité à la division pourrait être un avantage positif, ou pourrait être considérée comme tel, par exemple lorsqu’il faut affronter des épreuves physiques ou sociales ? Les multiples font-ils de meilleurs guerriers ? 

    Dans l’Amérique contemporaine, plusieurs centaines de personnes disent avoir été enlevées par des extraterrestres arrivées en ovni. Tout d’abord, l’expérience d’enlèvement n’est pas reconnue comme telle, et elle est décrite en première instance comme une « période manquante » dont la personne n’a plus aucun souvenir. Sous hypnose, toutefois, le sujet se rappelle typiquement avoir été enlevé par des créatures humanoïdes qui lui ont fait des choses douloureuses – qui impliquent classiquement quelque opération chirurgicale liée aux parties sexuelles (comme des objets pointus enfoncés dans le vagin). Ces gens racontent-ils une version mythique d’une expérience infantile réelle ? Pendant la période décrite comme manquante, une autre personnalité était-elle à l’œuvre – une personnalité pour laquelle l’expérience de sévices sexuels n’était que trop réelle ?

    Platon avait banni les acteurs de sa république sous prétexte qu’ils étaient capables de « se transformer en toutes sortes de personnes » – un mauvais exemple, estimait-il, pour les citoyens sérieux. Les acteurs disent souvent qu’ils « se perdent » dans leurs rôles. Combien des plus grands acteurs ont subi des sévices sexuels pendant l’enfance ? Pour combien d’entre eux jouer est-il une manière culturellement acceptée de laisser émerger leur multiplicité ?

    Les thérapeutes auxquels nous avons parlé étaient frappés par le « charisme » de leurs patients. Le charisme est fréquemment associé à un manque de frontières personnelles, comme si le sujet invitait tout le monde à partager une part de lui-même. Combien de démagogues captivants ont été des multiples ? Avons-nous là une nouvelle explication du mythe du « Wound and the Bow »8 ?

    La reine Élisabeth Ire, à l’âge de deux ans, vécut l’expérience de voir son père Henry VII couper la tête de sa mère. Il est de notoriété publique que, par la suite, Élisabeth eut un caractère changeant, tour à tour aimante et vindicative. Était-elle une multiple ? Jeanne d’Arc entrait en transes, et s’habillait en garçon. En était-elle une également ?

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    Notes

    1 Le meilleur, et de loin, des récits autobiographiques est celui de Sylvia Fraser (1988). Beaucoup de courtes histoires de cas ont été publiées dans la littérature clinique. Damgaard, Van Benschoten & Fagan (1985) en fournissent une bibliographie exhaustive. Pour un point de vue plus sceptique, voir Fahy (1988).

    2 Voir Dennett (1988 : 1016-1029).

    3 Douglas Hofstadter (1979) a développé l’analogie entre l’esprit et une colonie de fourmis dans « Prelude... Ant Fugue » (partie II), au chapitre X de son ouvrage Gödel, Escher, Bach. An Eternal Golden Braid. L’approche de type « contrôle réparti » pour désigner les machines intelligentes occupe une large place dans l’histoire de l’intelligence artificielle, remontant jusqu’au modèle précoce « pandemonium » de Selfridge en 1959, et trouvant une expression récente dans un ouvrage de Marvin Lee Minsky (1985).

    4 La fonction sociale de la connaissance de soi a été particulièrement soulignée par Nicholas Humphrey (1983, 1986). Pour une discussion suggestive des « symboles actifs » comme quelque chose d’assez proche de notre notion de « Président du Cerveau », voir Douglas Hofstadter (1985 : notamment 646-665).

    5 S4OS (Speaking for Our Selves). A Newsletter by, for, and about People with Multiple Personality (PO Box 4830, Long Beach, California, 90804) est paru trimestriellement entre octobre 1985 et décembre 1987, date à laquelle la publication fut suspendue du fait d’une crise personnelle dans la vie de l’éditeur. Elle contenait incontestablement les écrits réels et les dessins de patients TPM, souvent plus convaincants – et émouvants – que les comptes rendus autobiographiques beaucoup plus professionnels qui furent publiés.

    6 À ce sujet, voir Mann & Goodwin (1988) ; Snowden (1988) et Albini (1988).

    7 Pour une discussion passionnante sur la manière dont les individus peuvent se façonner eux-mêmes pour s’adapter à des catégories « à la mode », voir Hacking (1986).

    8 The Wound and the Bow est le titre d’un célèbre essai d’Edmund Wilson. Il traite de l’histoire de Philoctète et de la manière dont la souffrance peut engendrer ou accroître la créativité artistique (note du traducteur).

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  • Commentaires

    1
    Nofairplay
    Vendredi 6 Décembre 2019 à 00:16

    " Parler au nom de nos Soi(s) "

    merci c'est explicite et tellement gravissime !  excusez de faire une apparté

    je ne veux pas m'égarer sur ce sujet tabou , 

    mais saviez-vous pour l'Abbé  Joseph Doucé était icône GAYet avocat de la Pédophilie

    Nous vivons dans une société de mensonge f affaires sales

    en voilà une preuve supplémentaire

    « Étouffer ou amortir. L'oreiller ou l'édredon. On ouvre des instructions judiciaires lorsque l'on ne peut plus faire autrement, en sachant pertinemment que l'on dispose de différents moyens pour édulcorer ou enterrer la procédure. Des moyens qui ont largement fait la preuve de leur efficacité, y compris dans les affaires politico-financières qui en ont largement bénéficié. Soit on saucissonne l'affaire en de multiples procédures qui ne permettront jamais de rendre compte de la magouille dans son ensemble. Ou bien l'inverse. On concentre toutes les plaintes entre les mains d'un unique magistrat instructeur, qui se retrouve investi d'un pouvoir écrasant et considérable sur un dossier monstrueux

    Le pasteur Joseph Doucé est né en Belgique, dans le sillage de sa naissance la paix était instaurée en 1945. Le messie gay accomplissait déjà des miracles. Puis il disparaissait étrangement le 19 juillet 1990 emmené par des individus restés non identifiés. Son corps a été retrouvé nu dans un état de décomposition avancé, en forêt de Rambouillet, au mois d'octobre 1990.

    Cet assassinat est resté non élucidé mais les activités et les fréquentations du pasteur Doucé ont obligatoirement un lien avec cette fin sordide. Le pasteur Joseph Doucé est le premier religieux en France à avoir assumer son homosexualité et à célébrer des mariages gay de manière officieuse. Il sera radié de l'ordre religieux en 1975 car il ne désirait plus garder le secret de son homosexualité, sans compter ses velléités d'activiste qui ne concordaient pas avec le dogme religieux

    Joseph Doucé se convertit à l'église baptiste et fut consacré pasteur au cours de l'année 1971. Le courant protestant est plus ouvert sur la question des minorités sexuelles mais il reste aussi insignifiant en Europe que puissant aux États-Unis. Après avoir obtenu une bourse d'études durant les années 1974 et 1975 il étudia la sexologie à l'université protestante d'Amsterdam. Le pasteur Doucé,

    surnommé le pasteur porno devenu psychologue et sexologue, était aussi éditeur et homosexuel pratiquant. C'est d'ailleurs son obsession pour la communauté gay qui a entraîné sa radiation en 1975 de la Fédération des Églises évangéliques baptistes de France (FEEBF). En 1976 il déclarait officiellement être homosexuel et le 10 octobre, à Paris,

    il fondait leCentre du Christ Libérateur

    (CCL) au sein duquel il accueillait les minorités sexuelles telles que les homosexuels, les lesbiennes, les transsexuelles, les travestis, les sadomasochistes et les pédophiles. La réunion consacrée aux pédophiles était programmée le dimanche une fois par mois. La maison de Dieu ne refuse personne même ceux qui n'ont pas la foi. Tout commence ici, à Paris, dans le CCL devenu l'un des relais du réseau pédophile mondial

    Les prouesses militantes du pasteur Doucé

    l'année 1978 fut marquée par la naissance de l'International Gay Association (IGA) dont le CCL fut l'un des membres fondateurs comme le souligne Joseph Doucé dans son ouvrage traitant de la pédophilie. Le CCL appartenait également à l'Internationale Pédophile (IPCE) et participait à ses meetings internationaux. L'appartenance à ce club, exclusivement réservé aux pédophiles et à leurs associations, offrait un accès direct au cœur du réseau. Le CCL est l'une des associations à avoir participé au groupe de travail relatif à la pédophilie au sein de l'ILGA.

    Enfin, en 1989, le pasteur Doucé entra dans l'histoire du mouvement LGBT pour avoir été l'instigateur de la recommandation 1117 au parlement européen, portant sur la condition des transsexuels. Un texte qui reconnaissait le droit à ces personnes de changer de sexe, recommandant aux états membres de faciliter les démarches administratives pour les modifications de l'état civi

    Motif de son assassinat

     

    Le pasteur Doucé a tout d'abord été considéré comme une personne disparue avant que son corps nu et décomposé ne soit retrouvé en forêt de Rambouillet par un amateur de champignon. Les trois mois qui s'écoulèrent entre sa disparition et l'officialisation de sa mort ont permis d'offrir un délai suffisant pour camoufler, dissimuler, et se prémunir de toutes ramifications avec le pasteur, pour ceux qui ne désiraient pas être démasqués. Joseph Doucé n'a pas été tué par balles permettant aux enquêteurs de remontrer facilement à l'arme du crime mais par strangulation, un moyen efficace pour ne laisser aucune trace sur le corps de la victime. Or le pasteur Doucé ayant été étranglé, il n'existe ni arme ni scène de crime puisque son corps a sans aucun doute été transporté dans la forêt de Rambouillet alors qu'il était déjà mort. Les méthodes employées impliquent un minimum de préparations, de savoir-faire et d'expérience, autrement dit c'est l’œuvre de professionnels. Un seul détail étonnant, le corps du pasteur n'a pas été enterré, laissant supposer une certaine précipitation de la part du ou des assassins qui cherchèrent sans doute à se créer un excellent alibi ailleurs. S'il manquait du temps à l'assassin pour dissimuler le corps, il n'a en revanche pas manqué de sang froid ni de jugeote. En effet, il aura fallu trois mois pour retrouver le cadavre nu et méconnaissable du pasteur, en forêt de Rambouillet, un environnement idéal pour une parfaite décomposition du corps avec le cocktail : air, humidité, faune et nudité du corps

    Le pasteur Doucé n'a pas été tué par un déséquilibré, ou par son compagnon ou un ex amant éconduit et jaloux ou encore un usager du CCL. D'ailleurs aucun bouc-émissaire ne s'est aimablement proposé pour porter le chapeau de l'assassinat du pasteur. Il apparaît évident que les relations et les occupations de Joseph Doucé l'ont mené tout droit à sa perte. Plus encore, ce qu'il savait sur les pratiques sexuelles de nombreuses personnes le mettait dans une position à la fois sécurisante mais toute aussi incertaine. Ce scandale d’État a été étouffé par la justice, et le juge d'instruction Marc Trevidic, qui a prononcé un non-lieu le 24 octobre 2007. Ainsi les assassins et les commanditaires de l'assassinat du pasteur sont toujours libres et non identifiés1

    L'ouverture d'une librairie rue Sauffroy, située dans le 17ème arrondissement parisien, le 7 juin 1990, a sans doute accentuer la pression autour du pasteur en poussant certaines personnes à s'enquérir de son cas. Joseph Doucé ne manquait pas une occasion de se distinguer en acceptant de diffuser et de vendre dans sa librairie de la littérature adressée à une clientèle ayant des pratiques sexuelles déviantes, notamment les pédophiles. Peu après l'ouverture de la librairie du pasteur « Autres Cultures », le service des Renseignements Généraux (RG) épia les allers et venues des visiteurs. Pour l'essentiel il s'agissait des habitués du CCL. Puis la ligne téléphonique de la librairie du pasteur fut placé sur écoutes entre les 12 et 30 juillet 1990.2 Une mesure prise dans l'éventualité de l'existence d'un réseau pédophile gravitant autour de la librairie du pasteur Doucé. Ces opérations étaient sous la direction de l'inspecteur des RG Jean-Marc Dufourg, ce dernier déclara :3

    «Ma véritable cible n'était pas le pasteur, mais un certain J.S., un individu déjà impliqué dans une affaire de pédophilie et qui fréquentait les lieux

    Il faut savoir que les missions des RG sont tout à fait spécifiques et ne concernent habituellement pas des investigations relatives à la drogue, au proxénétisme ou encore la pédophilie. Le vrai rôle des RG est d'anticiper l'information afin de protéger ou compromettre des personnes sensibles. Quant à la mystérieuse cible évoquée par l'inspecteur Dufourg portant les initiales J.S., elles pourraient correspondent à celles de John Stamford du guide  Spartacus.

    Cet énorme poisson aurait tout à fait pu nécessiter le déploiement d'un tel dispositif, un pédophile notoire impliqué dans de nombreuses affaires pédophiles mais suffisamment habile pour ne pas être inculpé afin d'éviter la prison

    Il existe trois scénarios plausibles pour tenter d'expliquer l'assassinat du pasteur Doucé entre les mois de juillet et octobre 1990 ;

    1. maître-chanteur, il détenait les moyens de compromettre de hauts fonctionnaires de l’Élysée.

    2. il était sur le point de dénoncer l'un de ses pairs qui décida de l'éliminer.

    3. un événement externe contraignit le gouvernement à agir rapidement.

    Parmi ces trois options, la troisième est la plus crédible mais pour lui donner du sens il faut être en mesure de connecter plusieurs événements entre eux afin de leur donner de la perspective. Un mois avant la disparition du pasteur Doucé l'arrestation du père Nicolas Glencross

    a permis de mettre la main sur une collection de 20.000 à 30.000 photos pédopornographiques, la plus importante de l'époque en Europe.

    De plus, le presbytère du curé Glencross servait de domiciliation à Hubert Védrine (ENA

    sans cette adresse il n'aurait jamais pu être conseiller municipal de

    Saint-Léger-des-Vignes entre 1977 et 1995.

    Son père, Jean Védrine, était à la fois un proche du curé Glencross et du président Mitterrand. Cela signifie que l'abbé Glencross était protégé par le président Mitterrand lui-même ! En France, seul le journal deL'Humanité

    évoque le père Glencross tandis que les trois quotidiens majeurs que sont  LE JOURNAL Le Monde JOURNAL Le Figaro ou Libération les faux culs

    ne le connaissent pas, ceci est très significatif de leur soumission à l'égard du pouvoir.

    Malgré cette discrétion sur le sujet, qui ferait presque douter de l'existence même du dénommé Nicolas Glencross, nous retrouvons sa trace autour de la création d'une troupe de théâtre dans les années 1950 et d'un club de rugby à Saint-Léger-des-Vignes en 1961.

    Ceci est la preuve que Nicolas Glencross était à la fois bien réel, curé, et demeurant à Saint-Léger-des-Vignes dès les années 1950.

     

    LIEN si dessous

     http://lhommequimurmuraitaloreilledesourds.blogspot.com/2018/01/joseph-douce-icone-gay-et-avocat-de-la.html

     

    ON NOUS A BIEN CACHE TOUT CECI 

     

     

     

     

     

      

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